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la main, quand ce dernier peut être confié à des tâcherons assez nombreux pour l’accomplir dans le court espace de temps dont on dispose et assez modérés pour se contenter d’un salaire raisonnable ; mais en pareille matière on ne doit pas oublier que le premier devoir du cultivateur, c’est de ne jamais compter sur la durée du beau temps, de ne compter guère plus sur la constance ou la sagesse de ses ouvriers. Marcher vite et très vite pour ses semailles et surtout pour, ses récoltes, utiliser ses laboureurs et ses chevaux à la transformation des récoltes en produits vendables, alors que la terre, durcie par les gelées, couverte par les neiges, ou délayée par les pluies, ne se prête qu’à bien peu de travaux extérieurs, telle doit être la principale préoccupation du général pacifique qui, sous le nom de fermier, lutte contre la nature en déployant dans la conduite de ses hommes, de ses animaux et de ses instrumens, plus de stratégie qu’on ne le suppose. Aussi, dès qu’une machine donne un résultat quelconque au même prix que la force humaine (en tenant compte des constructions, réparations et amortissement qu’elle nécessite), je n’hésite pas à conseiller la machine. On la trouve quand on en a besoin, et elle est plus docile.

L’importance des bénéfices que la mécanique permet de réaliser s’accroît, on le comprend, avec l’importance de la ferme exploitée. C’est donc aux grands cultivateurs surtout que l’habile emploi du capital, avancé sous forme d’engrais, de drainage, de marnage, de bestiaux et de machines, devient indispensable. S’ils imitaient les modestes procédés des paysans auxquels suffisent les bras de leur famille et l’aide d’un ou deux domestiques, ils n’obtiendraient ni plus abondamment ni plus économiquement les produits qu’on demande à la terre. Or, les charges des uns étant beaucoup plus considérables que celles des autres, et leurs ouvriers étant en général plus enclins à les servir moins consciencieusement, les grands cultivateurs ne doivent jamais hésiter à se procurer tous les auxiliaires mécaniques qui peuvent remplacer ou diminuer l’emploi des hommes. Et cela nous explique pourquoi la plupart des machines perfectionnées nous sont venues des pays de grande culture, tels que l’Angleterre, ou des pays mal peuplés, comme certains états de l’Amérique du Nord.

Cependant ces utiles engins ne peuvent pas être partout servilement copiés ou imprudemment introduits. La différence des sols et des conditions culturales nécessite dans la force et la structure des instrumens de sensibles différences. Le fer, ce métal dont la consommation mesure mieux que l’abondance de l’or la vraie richesse des peuples, le fer est plus solide que le bois ; mais le bois est plus facile à remplacer, et coûte moins cher dans une foule de cantons.