Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renaissance, c’est revenir à la foi superstitieuse qui n’est qu’un respect d’esclave pour un rituel consacré, qu’une aveugle soumission à des pratiques enjointes, à des œuvres pies rédigées en recettes. Ce que M. Ruskin glorifie, ce qu’il veut recommander comme l’âme du gothique, c’est au contraire l’esprit d’examen, de libre pensée et d’invention personnelle, mais en même temps l’esprit consciencieux et bien réglé, qui, lorsqu’il s’agit de bâtir, s’applique tout entier à considérer honnêtement les données du problème, sans se laisser asservir par la préoccupation des moyens que d’autres ont inventés pour d’autres fins, sans se permettre d’être entravé dans son effort par aucune intention prématurée de décoration. Plus tard, cet esprit sincère, quand la construction est achevée et qu’il s’agit de décorer, procède à sa nouvelle œuvre avec la même liberté et le même empire sur lui-même. Tout en donnant pleine carrière à son imagination, il ne cesse pas de la gouverner et ne vise qu’à exprimer et accentuer par la décoration le caractère propre du monument. Il arrive de la sorte à l’harmonie de l’ensemble en donnant aux diverses parties les aspects qui sont comme la poésie visible de leur fonction, comme le moyen le plus propre à causer une émotion en accord avec l’idée que le membre orné peut donner de lui-même à l’intelligence. Enfin cet esprit, avec une égale répugnance pour la servilité et pour la licence, se fait une loi d’établir entre ses ornemens une règle hiérarchique analogue à celle que la nature met partout, de subordonner les fines sculptures et les broderies de détail, destinées à être vues de près, à l’effet général des lignes de moulures, qui se distinguent à cinquante pas, comme ce second système de décoration est lui-même subordonné à la grande ordonnance des masses et des ombres, qui frappent l’œil à la distance d’un kilomètre.

Le principe auquel M. Ruskin tient le plus est celui qu’il énonce en posant, comme une règle sans réserve, que tout édifice, en tant qu’œuvre d’art, ne doit être que le cadre d’une décoration sculpturale fondée sur l’amour de la nature. Voici bien une occasion où, comme je l’observais plus haut, il se plaît à masquer l’étendue de ses idées afin de leur donner une expression qui se rapproche d’un autre de ses axiomes favoris. Dans la préface des Sept Flambeaux, il raconte imperturbablement de quelle façon il est enfin parvenu a découvrir qu’il y a quatre manières de juger et sentir l’architecture, trois mauvaises et une bonne, que le goût qui décide du mérite d’un monument d’après l’effet de ses masses et de ses proportions générales est au nombre des goûts de bas étage, et que ceux-là seuls sont des juges compétens qui apprécient la valeur de l’édifice d’après la valeur des décorations sculpturales qu’il sert à faire ressortir. La raison