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plus intelligente s’est développée pour le sort des nations ; leurs vœux, leurs droits trouvent en Angleterre une plus généreuse sollicitude. La liberté n’y est plus monopolisée par le patriotisme, et le monde ne connaît point de cause libérale qui ne rencontre à Londres de nombreux défenseurs. Cette circonstance gêne encore l’Angleterre dans le choix de ses alliances : elle lui rend difficiles certaines solidarités, certaines ruptures, certaines guerres. Elle eût par exemple absolument empêché l’année dernière le ministère Derby lui-même de se lier étroitement à l’Autriche contre l’Italie, s’il en avait eu la pensée. Que l’on raille tant qu’on voudra l’Angleterre de s’être départie de la politique hautaine et violente de cet ancien torysme qu’il est de mode aujourd’hui d’exalter après l’avoir maudit, que l’on s’expose par des sarcasmes à piquer d’honneur l’orgueil britannique et à rallumer des passions éteintes pour le bonheur du monde : nous ne pouvons, nous, que nous réjouir de voir l’Angleterre délivrée d’une politique qui apparemment ne lui avait pas mérité la reconnaissance de l’humanité. En tout cas, ce ne serait pas à la France de déplorer l’abandon de ces traditions de jalousie et de vengeance dont elle a si longtemps fait un crime à l’aîné des peuples libres.

Ce n’est donc pas de gaieté de cœur ni par une impulsion passionnée que l’Angleterre rentrerait dans la carrière des coalitions : la nécessité seule l’y ramènerait. En attendant, les alliances mêmes lui sont difficiles. Une rivalité qui ne peut s’éteindre aisément la sépare de la Russie : elle ne peut sans effort se rapprocher d’une puissance asiatique et qui convoite Constantinople ; il ne lui est pas beaucoup plus aisé de se lier avec l’Autriche, avec les principes et les intérêts qu’elle soutient en Italie, et la politique autrichienne en Orient, bien qu’elle lui porte moins d’ombrage que la politique russe, demeure pourtant peu conciliable avec l’intégrité et l’indépendance de l’empire ottoman, que l’Angleterre n’a pas abandonnées.

Reste la Prusse, dont l’alliance, jusqu’à présent médiocrement utile, est encore un obstacle au l’établissement d’une parfaite intelligence entre les cabinets de Vienne et de Londres. La Prusse est la dernière des grandes puissances, mais elle n’est pas la moins importante par les prétentions, par une ambition équivoque et agitée qui permet peu de compter sur elle, et qui force à la considérer en tout comme une difficulté, rarement comme un appui. Une opposition de vues, de principes, d’intérêts, l’éloigne manifestement de l’Autriche. Elles peuvent être rapprochées, jamais unies. Malgré les efforts de la Saxe et de la Bavière, les dernières dissidences, les derniers griefs subsistent, et par conséquent, à moins de se sentir menacée, la cour de Berlin hésitera longtemps à entrer en conflit diplomatique avec la France. Dans l’essai laborieux de ses institutions nouvelles,