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tout à l’heure remplissaient son âme, luttaient encore victorieusement contre les principes, la religion de toute sa vie.

— Le nom de ce misérable ? dit-il après un silence en se tournant vers sa fille, plus accablé que menaçant.

Hermine, toujours étendue à terre, ne répondit pas. Ce n’était plus à sa fille que le lieutenant pensait. Il bondit vers l’infortunée. — Son nom ?… cria-t-il d’une voix tonnante.

— Non, murmura Hermine, non !… — Et comme son père lui avait saisi le bras et la secouait violemment : — Tuez-moi, balbutiait-elle d’une voix sourde, tuez-moi ! — Ses membres se raidirent son visage se décolora. Sa mère et sa sœur la soutinrent, la ranimèrent.

— Emportez-la ! dit le lieutenant, sombre, désespéré. Les deux femmes traînèrent Hermine jusque dans la chambre de Caroline.

Le surlendemain, vers dix heures du matin, le lieutenant marchait lentement dans sa chambre, les bras pendans, la tête inclinée sur sa poitrine. En trente-six heures, il avait vieilli de vingt ans.

La porte s’ouvrit doucement, et Mme Tranchevent entra, les yeux enflammés par les larmes, chancelante à faire pitié.

— Elle a une fièvre terrible, et par instans le délire, dit-elle à voix basse.

— Je vous avais défendu d’aller la voir ! dit le lieutenant avec une certaine rudesse.

— Mon ami !… fit la pauvre mère d’un ton suppliant.

Le lieutenant n’entendait plus sa femme. Un abattement complet avait remplacé les larmes et les colères des premiers instans. Son désespoir ne savait à qui s’attaquer. Malgré les prières de Caroline, seule autorisée à lui parler, Hermine refusait toujours de nommer son amant, et sa faiblesse extrême, de fréquentes crises nerveuses, une forte fièvre, ne permettaient pas de longues obsessions. La malheureuse enfant avait dû cependant livrer une partie de son secret à sa sœur. Jean devait venir près d’elle le lendemain du jour de la dénonciation. Qu’arriverait-il, s’il entrait dans sa chambre, s’il s’y trouvait face à face avec son père ?… Un sinistre cauchemar montrait à Hermine son père et son amant morts, tués l’un par l’autre. Elle sortait pour un moment de son douloureux assoupissement et jetait des cris déchirans. Jean arrivait d’ordinaire vers onze heures ; à dix heures, Hermine se résigna à confier ses terreurs à Caroline. Tremblant pour les jours de son père, menacés, pensait-elle, si le lieutenant se trouvait en présence d’un homme que, dans sa naïveté, elle estimait ne pouvoir être qu’un misérable, Caroline consentit à illuminer brillamment la chambre d’Hermine et à s’y tenir jusqu’au matin. Hermine espérait que ces dispositions inusitées suffiraient