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Renfermée chez elle, seule en face du billet de Jean, elle hésita encore longtemps à l’ouvrir. « Dans quelques semaines, dans quelques jours peut-être, je serai libre, écrivait Jean, et je ne sais pas encore si vous m’aimez. Que s’est-il passé entre vous et votre père ? Je crains tout. Il faut cependant que je vous parle ; il le faut pour vous presque autant que pour moi. Je vous en prie à genoux, laissez ce soir votre fenêtre entr’ouverte ! »

Glacée, frissonnante, Hermine relut cent fois ces lignes qu’elle ne voulait pas comprendre. Sans commentaire, comme la chose la plus simple, Jean lui donnait rendez-vous la nuit, dans sa chambre, à deux pas de ses parens… Mais que deviendrait Jean, qu’allait-il penser si la croisée restait close ? Après une demi-heure de trouble, de luttes, de remords, Hermine entr’ouvrit lentement sa fenêtre, puis elle se retira au fond de sa chambre, pâle d’émotion et de honte. Si les confidences de Camille n’avaient pas familiarisé depuis longtemps l’imagination d’Hermine avec une telle situation, jamais elle n’eût admis la possibilité de céder à la prière de Jean. Du reste, tout était si confus dans ses sentimens et dans son esprit, qu’elle ne se rendait pas un compte exact de l’action qu’elle venait de commettre. Elle espérait que Jean ne viendrait pas, et sincèrement elle le souhaitait. Trois mortels quarts d’heure s’écoulèrent. Hermine n’attendait plus Jean et commençait à retrouver un peu de calme, lorsque les battans de la fenêtre furent écartés avec précaution. Hermine demeura immobile à sa place. Jean était depuis plusieurs secondes dans sa chambre, tout près d’elle, sans qu’elle eût levé les yeux sur lui. Ils restèrent ainsi muets, embarrasses, en face l’un de l’autre. Ce n’était plus l’entraînement, l’enthousiasme de leur première entrevue. Ils songeaient moins à eux-mêmes en ce moment qu’à ceux qui dormaient près de là pleins de confiance. Une trahison préméditée, exécutée presque froidement, les humiliait tous les deux. — Pardonnez-moi, je suis seul coupable, dit Jean, répondant à la pensée d’Hermine, et il prit la main de sa cousine.

Hermine abandonna sa main sans résistance, mais ses yeux ne regardaient pas Jean ; elle était triste, pensive. Jean s’assit près d’elle. — Hermine, dit-il, parlons de vous, de vous qui êtes toute ma pensée, tout mon espoir !…

— Non, dit Hermine avec découragement, à vingt ans, vous ne pouvez lier à jamais votre existence à la mienne. Pour me rendre heureuse, il vous faudrait sacrifier votre propre bonheur.

— Ne parlez pas de la sorte, interrompit Jean. Moi, que vous accusez d’irréflexion et d’inexpérience, j’ai longuement pesé toutes les chances de l’avenir. Si je vous disais qu’en tout temps, en tout lieu, quelles que fussent les circonstances extérieures, je serais heureux