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leur subite élévation ? Il serait bien à des parvenus de montrer une modération qui attesterait la force. Or il y a quelque apparence que les Norvégiens n’ont pas toujours montré assez de modération dans leurs rapports avec les Suédois. Ils ont affiché quelquefois une fierté plébéienne qui choque et qui blesse : « Assurez vos collègues, dit un jour le roi, de mes sentimens paternels. — Sire, répond le président du storthing, les Norvégiens ne veulent pas être traités comme des enfans ! » Nous omettons bien d’autres souvenirs, pour ne rien envenimer. Mais cette prétention d’être un état absolument égal et même souverain est-elle réellement appuyée sur la vraisemblance et sur le droit ? Jadis un des représentans de la Norvège, M. Hielm, conçut le projet d’adresser aux cours étrangères la liste des griefs contre la Suède et d’invoquer leur intervention auprès du cabinet de Stockholm. C’était insensé, cela n’a pas cessé de l’être, et aujourd’hui encore cela ne réussirait pas. Le droit public européen ne connaît pas une cour de Norvège séparée de la cour de Suède ; il ne connaît, d’après les traités, qu’un roi réunissant sur sa tête les deux couronnes, et la Norvège n’est pas, elle ne saurait être un état souverain…

Mais je m’arrête, je ne voudrais pas rechercher plus longtemps des torts à un peuple dont les prétentions et la fierté ont après tout un côté fort respectable, puisqu’elles sont inspirées en partie par le sentiment et l’amour de la liberté. Il est dans l’intérêt des deux peuples de rester unis ; leur indépendance est à ce prix. L’union ne saurait désormais porter atteinte à l’autonomie de l’un ni de l’autre ; ils sont même égaux désormais, soit, mais comme un peuple d’un million et demi d’habitans, élevé tout à coup à la vie politique, est égal à un peuple qui a une population double, qui a joué un grand rôle dans l’histoire moderne, et que les autres puissances de l’Europe ont appris à estimer et à respecter. C’est assurément ainsi que les Norvégiens les plus sensés l’entendent, et sur cette base l’entente se rétablira. Nul doute que dans quelque temps, quand les passions excitées aujourd’hui se seront calmées, les Norvégiens ne se prêtent à une révision des textes sur lesquels repose l’union, car, s’ils n’y consentaient pas, ils perpétueraient ainsi un état de trouble et d’incertitude qui leur nuit aussi bien qu’à la Suède en rendant leurs rapports avec elle bientôt insupportables, en arrêtant tout progrès en commun, en ruinant tout bénéfice d’un voisinage et d’une amitié utiles.

L’Europe est elle-même intéressée à ce que cette bonne entente soit promptement et solidement rétablie. L’équilibre du Nord lui importe ; il ne lui est pas indifférent que la presqu’île Scandinave, grâce à une forte unité, forme une puissance défensive capable de