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voies de son développement un abîme entr’ouvert, s’y voyant tomber, et voulant, de toutes les forces de sa volonté, arrêter sa chute et se relever par sa seule énergie. Après de longs débats dans la diète de 1854, et malgré une opposition égoïste et déraisonnable de l’ordre des paysans, un changement de la législation sur l’eau-de-vie couronna le patriotisme des hommes de bien qui avaient pris part au mouvement que nous venons de décrire. Les principaux effets de la législation nouvelle furent d’augmenter le prix de l’eau-de-vie en établissant un impôt de 16 skillings banco par kanne (15 sous environ), au lieu de la faible taxe de 2/3 de skilling, de restreindre à deux mois de l’année, au lieu de six mois, le temps permis pour la fabrication, d’interdire le droit de distiller à certaines professions, aux fonctionnaires en général, particulièrement au clergé, et d’entourer enfin de restrictions nombreuses le débit de la dangereuse liqueur.

Les heureuses conséquences ne se firent pas longtemps attendre. Tandis qu’autrefois la Suède était obligée d’importer chaque année une quantité considérable de grains, elle se suffit bientôt à elle-même, puis elle exporta un notable excédant. Quand la guerre ferma les ports de la Russie et que de mauvaises récoltes firent souffrir le continent, elle put, grâce à sa meilleure législation et à de bonnes moissons, réaliser de grands profits en exportant 1, 026, 226 tonnes de blé en 1854, et en 1855 1, 755, 105 tonnes pour 35 millions de thalers au moins[1]. Le roi Oscar répétait souvent que c’était là peut-être le meilleur résultat de son règne.

Le progrès des communications et particulièrement l’établissement des grandes lignes de chemins de fer qui commencent à s’exécuter en Suède promettent un bien autre essor à ce pays. Les chemins de fer forceront la Suède à se familiariser avec le crédit, dont elle a trop dédaigné jusqu’à présent le secours, tant il est vrai que tous les progrès sont solidaires et s’appellent l’un l’autre. Le mérite du roi Oscar et le mérite de la Suède sous son règne est d’avoir invoqué le développement matériel surtout en vue du développement moral ; peuple et roi se sont trouvés étroitement unis dans ces heureuses réformes. Voyons maintenant le roi Oscar aux prises avec une autre question intérieure où l’absence du même accord devait lui créer un rôle délicat et périlleux.


II

Nulle question plus que celle des difficiles rapports entre la Suède et la Norvège ne réclamait mieux de la part du souverain et de ses

  1. De thalers riksmynt valant 1 franc 35 centimes.