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condamnations étaient devenues inévitables, il en suspendait durant des années entières la dangereuse publication. Il devançait en cela l’esprit public de son pays, qui depuis l’a justifié et s’est honoré lui-même, d’abord en lui sachant un gré infini d’une si noble douceur, ensuite en accueillant comme une délivrance la loi nouvelle votée tout récemment par la diète pour effacer des codes suédois en matière religieuse la confiscation et l’exil.

L’opinion publique en Europe est prête à considérer comme effacée désormais la tache d’intolérance barbare qui déshonorait naguère l’église suédoise, pourvu que la législation nouvelle, assez peu libérale encore, soit corrigée dans son esprit et dans sa lettre par les mœurs ramenées à plus de bienveillance et d’équité, pourvu qu’une inquisition tracassière et jalouse ne fasse pas sortir des textes nouveaux la confiscation et l’exil, abolis en apparence, mais en réalité toujours imminens et mal dissimulés, pourvu que le droit des familles dans l’éducation morale et religieuse des enfans soit respecté, pourvu enfin que l’église officielle ne continue pas à professer une si grande frayeur du prosélytisme, qui, à vrai dire, est la vie même et le souffle des religions. Reconnaître d’une part l’existence légale de plusieurs communions religieuses et refuser de l’autre à ces communions la diffusion de leur dogme et de leur enseignement dans les limites de l’ordre et des libertés publiques, ce serait une flagrante et inique contradiction. L’église luthérienne a d’ailleurs mieux à faire qu’à continuer un rôle d’inquisition et de police. Qu’elle se défie de la force apparente que lui confère son caractère officiel, et que, par un retour puissant sur elle-même, elle ravive dans son esprit et dans ses membres les vertus et l’inspiration chrétiennes, afin d’arrêter le flot des aberrations sociales et religieuses que lecteurs, mormons, swedenborgiens et autres multiplient en Suède, au grand regret de quiconque est soucieux des intérêts moraux de ce noble pays et au grand chagrin assurément aussi de ceux qui, au nom de son église, ont accepté charge d’âmes.

À côté de la réforme importante qui vient de s’accomplir en Suède dans l’ordre religieux, et qui a été due en grande partie à l’influence et aux efforts personnels du roi Oscar, il faut placer la réforme civile et morale qui, en contribuant à élever la condition des femmes selon la législation suédoise, a fait encore disparaître du Nord quelques traces visibles d’un fort ancien régime. Dès le mois de mai 1845, une loi qui accordait aux femmes une égale part dans l’héritage venait réparer entièrement une injustice à moitié réparée seulement au XIIIe siècle par Birger Iarl, qui leur avait concédé dans l’héritage paternel une moitié de la part reconnue à chacun des fils.