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pour si sérieuses qu’ils concertent des mesures pratiques en conséquence. Les politiques de Turin prétendront-ils qu’ils sauront au besoin ne pas se laisser dominer, et que, quand ils croiront le moment venu, ils pourront enlever à Garibaldi la direction du mouvement ? À qui feront-ils croire qu’ils seront plus forts pour arrêter Garibaldi dictateur de Naples qu’ils ne l’ont été pour l’arrêter avant l’expédition de Sicile, qu’ils ne le sont aujourd’hui pour l’arrêter avant le passage du Phare ?

La réponse faite par Garibaldi à la lettre du roi Victor-Emmanuel donne la mesure du peu d’ascendant qu’ostensiblement du moins le roi de Piémont et ses ministres ont conservé sur Garibaldi. Le dictateur, maître de la Sicile, on l’a vu lors du débat sur le vote d’annexion, a entendu faire ses conditions avec le gouvernement piémontais ; il les dictera avec plus de raideur encore, une fois maître de Naples. Dans quelle situation alors se trouvera-t-il vis-à-vis du Piémont ? À la tête d’une armée nombreuse, avec des ressources financières qui lui manquent aujourd’hui, ne traitera-t-il pas sur le pied d’égalité au moins avec le Piémont, avec le Piémont, sur lequel déjà il exerce une telle fascination qu’il en attire à lui, d’un seul regard, des milliers de volontaires ? Quelle sera la puissance du roi Victor-Emmanuel auprès de la puissance de ce nouveau Warwick lui donnant à condition deux couronnes ? Dira-t-on que Garibaldi se modérera et consentira à ne pas attaquer l’Autriche ? Pour qui connaît les révolutions, une telle conversion est-elle vraisemblable ? Même accomplie, à quoi servirait-elle ? Autour de Garibaldi, à sa suite, dans l’ombre, n’est-il pas d’autres enchérisseurs de popularité qui attendent leur heure ? Ne sent-on pas serpenter entre Gênes et la Toscane un invisible Mazzini ? Faut-il donc marcher vers un désastre possible, en comptant sur l’accident, sur le hasard, peut-être sur les diversions des conflagrations révolutionnaires s’allumant dans d’autres parties de l’Europe, comme si ce n’était pas la menace de ces conflagrations qui déjà rallie les adversaires de l’Italie ? Ne serait-il donc pas temps de prendre un grand parti, de rompre des solidarités si périlleuses, d’arrêter le mouvement ?

Non, nous répond-on de Turin, cela n’est pas possible. M. de Cavour dit qu’en lui demandant Nice et la Savoie, on lui a enlevé son prestige, et qu’on l’a contraint à s’allier à la révolution. Toute l’Italie est dans le mouvement garibaldien. Le comte Pepoli a menacé, assure-t-on, M. de Cavour de le mettre en accusation, s’il contractait l’alliance napolitaine. « Qu’on me trouve dix codini, disait M. de Cavour aux envoyés napolitains, avec une bonne humeur qui prouve qu’il a au moins conservé son sang-froid dans cette crise, qu’on me trouve dix codini pour me conseiller l’alliance, et je la signe ! » Puis le Piémont montre ce qui se passe à Naples : un pouvoir qui s’abandonne, qui n’a pas su se défendre, tout le monde à Naples attendant avec impatience Garibaldi, un roi jeune et indécis, dépourvu d’énergie et d’audace, un prince du sang, le comte de Syracuse, manquant à l’honneur de sa famille au point d’adresser au roi Victor-Emmanuel une sorte de lettre de soumission ; seul, le comte d’Aquila, plein de bonne vo-