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couvrent nos frontières de ce côté une fois dans une main étrangère, le cœur de l’Allemagne se trouve dégarni et à la merci d’une invasion. Et comment nous défendre de ce côté-là, si nous avions simultanément à combattre sur le Rhin ou la Vistule ? L’Adriatique d’ailleurs forme la voie de communication la plus directe et la plus importante pour notre commerce avec le Levant. Comment serait-il possible à une nation telle que l’Allemagne de se laisser enlever ou de sacrifier de plein gré cette voie et de la livrer à la merci des étrangers ? » Il ne faut pas se faire illusion : à part un petit nombre d’esprits logiques et absolus, telle est en Allemagne l’opinion de la majorité. Le gouvernement prussien la partage de son côté. Ses actes et ses démonstrations de l’an passé en font foi, et les circonstances lui ont paru depuis être devenues encore plus impérieuses. Sans doute la Prusse s’abstiendra de s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Italie ; mais nous croyons qu’elle a pris l’engagement positif de soutenir l’Autriche de toutes ses forces, de concert avec l’Allemagne, dans le cas d’une attaque extérieure dirigée contre la Vénétie. On assure que cet engagement a même été clairement formulé à Toeplitz ; on ajoute qu’il faut rapporter au même objet les entrevues que l’empereur d’Autriche a eues depuis avec les rois de Saxe et de Bavière à Pillnitz et à Graefenberg, celle qu’il a eue encore avec ce dernier souverain à Saltzbourg, et enfin les conférences qui viennent d’avoir lieu à Wurtzbourg entre les ministres de la guerre des états secondaires. On va même jusqu’à dire que les stipulations ont déjà prévu le cas où la guerre devrait être faite soit du côté de la Vénétie, soit du côté du Rhin, et que l’on est convenu du partage du commandement des troupes fédérales entre l’Autriche et la Prusse selon les lieux qui deviendraient le théâtre de la guerre. Il est possible que ces bruits soient empreints d’exagération, mais le fait fondamental demeure : la question de la Vénétie est une question brûlante pour l’Allemagne, et y est regardée comme telle par les gouvernemens et les peuples. Non-seulement l’Allemagne ne veut pas souffrir que la Vénétie soit arrachée à l’Autriche, mais elle semble résolue à ne pas admettre que cette puissance s’en dessaisisse soit en échange d’autres avantages, soit gratuitement. « Qu’on nous accuse d’égoïsme, disent les Allemands libéraux, il est des questions vitales dans lesquelles les nations, comme les individus, sont tenues de penser à leurs intérêts. Le principe des nationalités est une très belle chose ; mais, pour le mettre rigoureusement en pratique, il faudrait morceler l’Europe presque entière, au risque d’arriver au chaos. Et puisque par exemple la Russie n’a aucune envie de nous rendre les provinces allemandes de la Baltique, ni la France l’Alsace, ni l’Angleterre l’île d’Heligoland, pourquoi serions-nous seuls condamnés à faire les frais de la réalisation d’un principe abstrait, et nous dépouillerions-nous bénévolement de ce qui nous appartient avec un désintéressement et une bonhomie qui nous rendraient la risée du monde ? »

Telle est la grave situation qui se dessine au bout des exploits de Garibaldi. Nous autres Français, nous avons bien le pénible devoir de prendre en