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L’Angleterre, séparée plus décidément que jamais du reste du continent, ne se trouvait en intelligence possible qu’avec le cabinet de Paris, quel qu’il fût, car là du moins elle ne rencontrait pas d’ancien régime. La France enfin, après l’effroi que sa dernière révolution avait porté en Europe, venait d’en traverser une dans un sens tout opposé. La république, qui avait déjà de ses propres mains opéré à Rome la contre-révolution, faisait place de nouveau à cette forme de la monarchie administrative, le rêve favori de tous les rois des temps modernes. On ne craignait plus de nous l’exemple contagieux de la démocratie triomphante, et chaque état, délivré, comme d’un cauchemar, de l’apparition de la révolution française sous sa forme populaire, croyait rentrer dans la plénitude de sa liberté d’action et reprendre le droit de revenir aux inclinations naturelles, fruits de ses traditions et de ses intérêts, et aux ambitions traditionnelles de sa politique.

Ainsi tandis que la situation intérieure semblait ne demander que repos et prospérité, la situation extérieure comportait, si elle ne l’annonçait, la renaissance des dissensions diplomatiques et le jeu d’une politique européenne moins uniforme, moins comprimée que dans le passé par la préoccupation unique du statu quo de 1815. Tout au dedans poussait exclusivement la société aux travaux et aux arts purement économiques ; tout au dehors portait les puissances aux conceptions et aux calculs qui compromettent l’union du monde. C’était un de ces momens où le pouvoir, s’il le voulait, serait maître, ou peu s’en faut, d’essayer du despotisme au dedans et de la perturbation au dehors.

Sans aller jusque-là, il était inévitable que cette double possibilité, que cette double tendance, qui naissait de la situation générale des choses, se manifestât à un certain degré dans les actes. On ne vient pas ici caractériser le gouvernement ni le juger : on décrit les faits, on ne les qualifie pas ; on rappelle sans nulle observation que le gouvernement s’est organisé en dehors des principes de la liberté politique, et que dans ses rapports avec l’étranger il est sorti de l’immobilité à laquelle s’attendait l’opinion publique. Aussi peut-on se rappeler la surprise qu’éprouvèrent les plus prévoyans, lorsque l’expérience leur apprit qu’une administration sans contrôle n’était plus impossible, que la France était beaucoup plus aisément gouvernable que ne le persuadaient la peur et la faiblesse aux esprits exclusivement conservateurs. L’étonnement redoubla lorsqu’on vit des dissidences sérieuses éclater entre les grandes puissances, ces dissidences engendrer des ruptures, ces ruptures aboutir à la guerre, et que retentit enfin ce premier coup de canon entre les signataires des traités de Vienne, ce premier coup de canon annoncé si longtemps comme le signal d’une conflagration universelle. On a vu