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Afrique, il n’y en a pas plus de cent mille qui viennent de France. Le reste se recrute donc aux dépens de l’étranger ; il est vrai que c’est chez les nations du midi, moins riches et par conséquent moins secourables que celles du nord. Nous avons écarté tous ceux qui ont le courage et le moyen d’aller loin, et gardé pour nous ceux qui manquent soit de résolution, soit d’argent, pour courir les grandes aventures. Mais si le résultat est déjà tel quand il a été constamment contrarié, on peut juger quelles proportions il aurait atteintes s’il avait été légèrement secondé. Je n’ignore point que c’est une extrémité qui surprendra péniblement quelques personnes que de fonder exclusivement sur l’émigration étrangère l’espoir d’une colonie conquise avec le sang et l’argent de la France. Que ces juges délicats veuillent bien songer pourtant que, dans les choses humaines, il ne s’agit pas de faire ce qu’on désire, mais bien ce qu’on peut, d’éviter ce qui afflige, mais de subir ce qui est nécessaire. Or, si la France ne fait pas de colons non plus que l’Algérie ne fait de sucre, c’est une chimère et une violence stériles que de s’obstiner à leur demander ce qu’elles n’ont pas. De plus, quel droit aurions-nous de nous montrer plus difficiles que les deux plus grandes puissances colonisatrices du monde, issues l’une et l’autre de cette race saxonne à laquelle le sentiment et même l’orgueil national n’ont jamais fait défaut, et qui ne font pourtant nulle difficulté de puiser de toutes mains en Europe pour peupler les régions qu’elles veulent appeler à la civilisation ? Enfin il y a un moyen facile d’empêcher l’Algérie de perdre à ce mélange le caractère de la nationalité française : c’est de transformer nous-mêmes, et le plus vite possible, en Français les étrangers qui viendront s’y fixer. Nous nous vantons beaucoup d’ordinaire de l’excellence de nos lois civiles, et nous les proposons volontiers pour modèles à toute l’Europe ; nous estimons très haut les bienfaits de notre administration, et nous admettons comme un fait constant que tous nos voisins nous l’envient ; nous ne parlons pas sans une certaine fatuité du charme de nos qualités sociales, et nous nous plaisons à remarquer que les étrangers qui nous viennent voir restent souvent épris de nos mœurs. Eh bien ! c’est ici le cas de vérifier si cette bonne opinion de nous-mêmes est bien fondée. Ouvrons à deux battans à l’émigration étrangère les portes de notre colonie ; qu’elle trouve chez nous, aux mêmes conditions qu’au-delà de l’Atlantique, l’acquisition facile et la libre possession du territoire. Pour appeler même son capital sous toutes les formes, laissons plus généreusement le commerce aborder nos ports, élargissons les tarifs encore très restrictifs de la loi de 1851 ; puis retenons ceux qui auront répondu à notre appel par une de ces lois de naturalisation à courte échéance qui grossissent si rapidement