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en Europe. Un immense courant au contraire d’intelligence et de capitaux est dirigé chaque année de l’orient à l’occident du monde, et traverse l’Atlantique aussi régulièrement que des flots poussés par le souffle périodique des vents moussons ou alizés. Chaque année, des ports britanniques et même des nôtres, une masse innombrable d’émigrans anglais, allemands, hollandais, belges, s’embarque pour l’Amérique ou l’Océanie. Il en est sorti, d’après des calculs aisés à faire, près de trois millions d’Angleterre et plus d’un million d’Allemagne depuis dix ans. Assurément, dans ce nombre de fugitifs qui abandonnent chaque année le vieux monde, la majorité se compose de pauvres journaliers qui vont chercher dans les riches cités ou dans les vastes exploitations des États-Unis et des îles anglaises un salaire élevé et constant que leur propre patrie ne leur offre pas, et comme l’Algérie est encore trop pauvre pour leur donner aujourd’hui cette assurance, il n’est pas étonnant que ce ne soit guère vers elle qu’ils tournent leurs pas ; mais il en est aussi, et en grand nombre, qui ne partent pas les mains vides et qui vont demander à de nouveaux continens, non pas du travail seulement, mais de l’espace et de la terre. Ceux-là n’ont aucune raison naturelle pour préférer les frais, les risques d’une traversée de plus d’un mois, au passage rapide et sûr de la Méditerranée. À conditions égales, et entre deux parties du monde également ouvertes au travail européen, l’Afrique devrait avoir l’avantage sur l’Amérique ; l’émigration y serait moins coûteuse, et l’expatriation, moins lointaine, devrait être aussi moins pénible. Si ce résultat se fait attendre, et même après vingt ans d’attente ne montre qu’une lente propension à se produire, il y a une cause étrangère qui suspend et détourne ainsi le cours naturel des idées et des intérêts : c’est au gouvernement de la chercher pour la détruire.

Et c’est d’abord dans sa conscience qu’il doit descendre pour voir s’il ne serait pas lui-même, en partie du moins, un des auteurs du mal qu’il déplore. Il n’ira pas loin, je m’assure, dans cet examen sans rencontrer tout cet attirail, tout ce cortège de mesures restrictives et prohibitives, de faveurs et d’interdictions, de concessions et de charges, tout cet appareil administratif au sujet duquel nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer ici toute notre pensée. Après tant de développemens, il serait non moins inutile que fatigant de revenir sur les inconvéniens de ce système de concessions qui a appelé en Afrique une chétive population, précédée et suivie par la misère et destinée à mourir dans cette triste compagnie. Cependant il n’est pas superflu d’aller à la source même de l’erreur, en remarquant qu’elle a eu précisément pour origine la prétention de faire sortir de terre à volonté une race de colons français qui n’existait pas, comme