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interrompu, qui doit fournir aux contrées intérieures une communication courte et directe avec la mer. Quel mouvement imprimerait au commerce de l’Afrique une voie ferrée qui mettrait ainsi à quelques heures des côtes, et à trois journées de Marseille, les métaux, les bois précieux, toutes les richesses végétales et minérales dont l’Atlas cache dans ses profondeurs les veines et les racines ; quel attrait cet accès commode exercerait sur les spéculateurs, quelle valeur prendraient les denrées agricoles le jour où, au lieu d’être charriées lentement à travers des marais embourbés, elles courraient lestement, par toute saison, à la suite d’une locomotive : — personne ne peut le calculer, et il est probable qu’aucun des coups de théâtre accomplis déjà parmi nous par la vapeur n’en donne une idée suffisante. Les prodiges que peut enfanter l’alliance des découvertes les plus avancées de la civilisation avec les forces encore intactes de la nature, l’union du dernier état de la science avec le premier état de la terre, l’Amérique seule jusqu’ici en a présenté le spectacle : il serait peut-être donné à l’Afrique de le reproduire. Il importe que la France le sache, quand elle regrette d’avoir déjà tant dépensé pour sa colonie, et de devoir tant dépenser encore. Elle a peut-être sous la main les moyens de rentrer d’un seul coup dans toutes ses mises : c’est de placer hardiment, sur la création d’un chemin de fer, un nouvel enjeu dont le gain incalculable est par avance presque assuré.

Voilà ce que notre gouvernement peut faire pour améliorer les conditions naturelles du sol africain, sans entreprendre la tâche impossible de lui en communiquer de factices ou de lui imposer des charges prématurées. En se tournant maintenant vers l’autre élément du problème, sa règle de conduite ne saurait beaucoup différer. De même qu’il doit prendre la terre comme elle lui est donnée, il faut qu’il se résigne à prendre le capital là où il se trouve, et la conséquence inattendue peut-être, mais inévitable, c’est que, comme le capital ne se trouve pas abondamment en France, ce n’est pas de France principalement non plus qu’il faut l’attendre, ni essayer de le faire venir.

Tout le temps en effet que la France restera constituée économiquement comme elle l’est, — c’est-à-dire partagée entre de grands capitalistes se livrant à l’industrie, où ils poursuivent et recueillent de gros bénéfices, et de petits cultivateurs attachés au sol par la double puissance de l’habitude et de l’orgueil, par toutes les traditions immémoriales que leur a léguées le passé et tous les instincts nouveaux qu’a créés en eux la grande révolution du siècle dernier, considérant le champ patrimonial à la fois comme un héritage sacré et comme un gage d’affranchissement social, s’en disputant passionnément