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faite sur la valeur d’un principe, il ne faut jamais en considérer les applications comme une preuve d’affaiblissement. C’est ainsi enfin que la diversité dans le dogme tuerait le catholicisme, qui repose sur le principe de l’autorité, tandis que l’immutabilité dogmatique au contraire tuerait le protestantisme, qui repose sur l’individualité. En effet, si les protestans sont fondés à voir dans la réforme autre chose que la proclamation de la liberté d’examen, s’il est visible pour tout esprit non prévenu qu’il y avait dans les doctrines prêchées au XVIe siècle une grande affirmation religieuse dont la Justification par la foi peut être considérée comme l’expression la plus générale, il est de fait pourtant que cette affirmation elle-même ne se fût pas produite à l’encontre de l’église catholique, si la conscience individuelle ne s’était pas crue en droit de protester contre la tradition séculaire. Il est vrai qu’à l’autorité de l’église la réforme substituait volontiers celle de la Bible. Néanmoins, comme il fallait désormais savoir pourquoi l’individu, émancipé de la tradition, croyait encore à la Bible réunie et transmise par cette tradition qu’il rejetait, comme la traduction et l’interprétation des livres saints ne pouvaient plus relever d’autre chose que du sens individuel, il en résultait qu’en définitive tout reposait sur le libre assentiment des consciences.

La question au XVIe et au XVIIe siècle était donc de savoir comment avec la liberté on pourrait constituer la communauté, en d’autres termes comment, avec l’individualisme du principe, on arriverait à une unité qui permît d’organiser la société religieuse. Cette question fut plutôt tranchée que résolue au XVIe siècle. Les masses qui embrassèrent la réforme furent déterminées par des besoins de conscience et de piété spiritualiste bien plus que par des raisonnemens théologiques, et adoptèrent sans y regarder de fort près, sans même les comprendre toujours, les formules compliquées que les théologiens de profession rédigèrent, et qui devinrent les confessions de foi de l’époque. Le peuple ne leur demanda que d’accuser nettement, carrément, fût-ce même sous forme paradoxale, les tendances qui le sollicitaient.

Ce qui valut au calvinisme en Hollande une grande partie de son ascendant fut que ses doctrines particulières exprimaient avec une énergie très rude, mais agréable par cela même au sens religieux du peuple, les sentimens et les idées qui avaient engendré la réforme dans son ensemble. On a mal jugé le calvinisme quand on n’y a vu qu’un monotone assemblage de principes contestables et durs, et il est assez curieux que ce soit surtout en France que l’on traite si souvent avec le superbe dédain de l’ignorance l’une des productions les plus remarquables du génie national. Il n’est nullement