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de magnifiques havres naturels, peuvent amener sans effort de gros navires jusqu’au fond des vallées et au pied des montagnes. Sa côte, sans mériter absolument la mauvaise renommée qui en a fait si longtemps un objet d’effroi, est pourtant plate et sans abri, et quant à ses rivières, bien loin d’être des chemins qui marchent (suivant l’expression connue), avec leur cours irrégulier, leurs débordemens subits et leurs sécheresses intermittentes, elles paraissent avoir pour effet principal d’empêcher les routes de s’établir et les hommes de passer. Lutter contre cette difficulté, qui est le résultat combiné d’une infirmité physique et d’une longue dévastation artificielle, ce n’est point pour le gouvernement sortir des limites que nous avons reconnues à sa tâche : c’est au contraire s’y renfermer expressément, puisque cette tâche consiste précisément à ouvrir l’accès du sol producteur et à préparer les voies pour accueillir les ressources qui peuvent venir s’y ajouter du dehors. Par conséquent tous les travaux des ports et de la voirie, toutes les chaussées, tous les barrages, tous les encaissemens de rivière, tout ce qui, en un mot, est destiné à faciliter la circulation intérieure par l’élargissement des passages ou la meilleure distribution des eaux non-seulement lui revient de droit, mais lui est impérieusement commandé. En ce genre même, nous croyons que le gouvernement ne peut ni trop faire, ni faire trop vite, ni faire trop bien tout de suite. Dans un pays déjà peuplé, on peut à la rigueur attendre, pour ouvrir des voies, qu’il y ait des besoins existans à satisfaire, bien que dans ce pays-là même l’expérience prouve que, dès qu’il se fait un chemin, il se fait du même coup des passans pour en profiter ; mais dans une contrée où on veut attirer la population, il faut que les gens, en arrivant, trouvent leurs chemins tout préparés, car ils ne viendront pas tant qu’ils auront de la peine à passer. Et du moment qu’on prépare les chemins, il est, je crois, d’une économie bien entendue de les faire sur-le-champ les meilleurs, les plus durables, et même les plus savans possible. Depuis l’époque où l’armée, pour assurer la circulation de ses caissons d’artillerie et de ses bagages, a tracé sur le sol spongieux des vallées de la Mitidja, de la Seybouse ou du Chelif, un certain nombre de lignes géométriques, qu’on appelle des routes, il ne se passe point d’hiver que quelque torrent mal-appris ne disperse ses travaux faits à la hâte, n’emporte les terres en laissant des cailloux à leur place, et ne brise les piliers de ces passerelles de bois qu’on décore du nom de ponts ; il ne se passe pas de printemps que le dégât ne coûte quelques millions à réparer. En mettant bout à bout toutes ces sommes, on aurait déjà réuni une notable partie des fonds nécessaires pour mettre à exécution le fameux chemin de fer, tant de fois promis et tant de fois ajourné, tant de fois commencé et tant de fois