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ne concourt jusqu’ici que pour une très faible part au peuplement de ces îles. Doit-on attribuer un tel fait uniquement à l’influence du climat ? ou bien ne faut-il en chercher la cause que dans les difficultés, les restrictions peu intelligentes, qui, pendant trois siècles, ont entravé les opérations du négoce ? Le climat des Philippines, avec ses chaleurs énervantes, qui engendrent parfois des épidémies, n’est point favorable au travail des blancs ; mais le même obstacle se rencontre dans d’autres régions tropicales où cependant l’immigration européenne, composée de capitalistes, de commerçans, d’artisans, est beaucoup plus considérable. C’est le régime économique qui a surtout éloigné des ports de l’archipel ces pionniers de la race blanche qui préfèrent s’établir dans les pays où le commerce est dégagé de toute entrave, où l’esprit d’entreprise n’est plus retenu par les liens d’une mauvaise législation. Que l’Espagne suive l’exemple qui lui est donné par l’Angleterre et par la Hollande : la population européenne se portera dans sa colonie comme elle se porte à Hongkong, à Singapore, à Batavia.

Je me suis longuement étendu sur cette question de population : il n’y en a pas qui soit plus importante quand on traite d’un établissement colonial. En Asie comme en Europe, la plus grande richesse d’un pays, ce n’est pas la fécondité du sol, la variété des produits, l’excellence des conditions naturelles : c’est l’homme, l’homme qui travaille, qui met en valeur les biens de la terre et qui fait lever la récolte. Or quelle contrée au monde pourrait être mieux partagée que l’archipel des Philippines ? Une population indigène de quatre millions d’âmes, une immigration régulière et continue qui amène un supplément de bras en même temps que le concours d’une intelligence supérieure, puis, au-dessus de ces deux élémens qui assurent la puissance du nombre ; et comme couronnement de l’édifice colonial, l’habileté, l’activité de la race européenne, disciplinant le travail et répandant au dehors, par le courant des échanges, l’excédant des produits : les Philippines possèdent tout cela. Elles n’ont pas à compter avec les embarras de l’esclavage ; elles n’en sont pas réduites à essayer ces combinaisons coûteuses et hasardeuses à l’aide desquelles certaines colonies cherchent à se procurer des coolies. Comment donc se fait-il que leurs progrès aient été si lents ? Il ne suffit pas d’accuser la paresse du Tagal. Le Tagal aurait travaillé, s’il y avait été incité par son intérêt et par l’exemple, s’il avait moins souvent fêté les saints, patrons du chômage, s’il n’avait pas trouvé dans ses chefs spirituels une indulgence excessive et dans l’administration espagnole une incroyable inertie. « On m’a cité, dit sir John Bowring, un Tagal qui, sur le conseil d’un moine, s’est décidé à cultiver la canne à sucre. La première année, il a obtenu 500 dollars du produit qu’il a porté au marché d’iloïlo. Il a continué,