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vacances et à travers les voiles de l’hospitalité officielle, apprécier les ressources et l’avenir de la colonie espagnole. Voué dès sa jeunesse aux investigations économiques, il a naturellement recherché dans les Philippines ce que d’autres n’auraient point su découvrir ou auraient évité de voir, c’est-à-dire les moyens d’exploitation, les forces productives, les impôts, les statistiques. Si peu divertissante que soit dans l’opinion de beaucoup de gens l’économie politique, elle est reconnue aujourd’hui comme une science d’utilité générale et il est bon qu’elle envoie ses voyageurs dans des contrées qui lui offrent un champ si fécond et si neuf d’observations. C’est une science jeune ; elle doit, comme la jeunesse, s’instruire en voyageant, et elle peut répandre avec fruit au milieu de nous les enseignemens qu’elle recueille. Il est donc tout simple que sir John Bowring nous cite Malthus, l’un de ses classiques. Ce nom si terrible est d’ailleurs placé fort à propos au début du chapitre que l’économiste voyageur consacre à la population des îles Philippines.

Il est impossible de donner le chiffre de cette population ; une évaluation officielle qui date de 1858 porte 4,290,000 habitans, sur lesquels on compte 1,860,000 Indiens, métis ou Chinois payant l’impôt. D’après une autre statistique, dressée par les moines, il y aurait.3,560,000 chrétiens répartis entre l’archevêché de Manille et les trois évêchés de l’archipel ; ce qui ne laisserait qu’un chiffre relativement trop faible pour la population idolâtre et indépendante qui habite l’intérieur de Luçon et les régions complètement inexplorées de Mindanao et de Mindoro. Il faut donc renoncer à obtenir un renseignement exact ; mais ce qui est certain, c’est que le sol n’est pas habité en proportion de son étendue, et qu’il pourrait nourrir une population beaucoup plus considérable. Les ressources de la culture y sont incalculables, et le jour où l’Espagne voudra mettre la main à l’œuvre, elle aura devant elle, dans ses possessions asiatiques, trop longtemps délaissées, un immense avenir de colonisation.

Les tribus insoumises de Luçon vivent à l’état sauvage ; on les désigne sous le nom général de negritos. Cette race paraît avoir été la première établie dans l’île, où elle a été peu à peu remplacée par les Tagals, qui l’ont refoulée dans les montagnes et dans les forêts inaccessibles de l’intérieur. C’est une race mourante et destinée, de même que le peau-rouge de l’Amérique, à disparaître entièrement du sol. Du reste, vivant de chasse et de pêche, misérable, étrangère à toute idée de civilisation, elle n’inquiète en aucune manière la domination espagnole, qui fa laisse s’éteindre lentement et sûrement dans sa dernière retraite. Parfois quelques missionnaires s’aventurent avec l’Évangile dans les parages hantés par les negritos : ils n’en reviennent pas toujours, et leurs couvens, après les