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leur secret, et quelquefois, mais bien rarement, il a surpris l’ombre des pensées intimes qui se réfléchissait dans le miroir de l’œil. L’Orient cache sa vie autant qu’il le peut, et, quand il ne le peut pas tout à fait, s’arrange, dirait-on, pour ne la montrer que par le mauvais côté. À l’exception de l’hospitalité, quelle est celle de ses vertus dont il aime à se faire gloire ? Profondément enveloppées sous les triples voiles de la prudence et de la discrétion, on ne les aperçoit qu’à de rares occasions décisives, comme sa vaillance, qui ne se révèle qu’au jour du combat. La société orientale ne livre à la curiosité européenne que ses parias, ses esclaves et ses immondices. Les types où M. Fromentin a résumé ce qu’on peut surprendre de la vie orientale sont peu nombreux : c’est Namân, le fumeur de haschich qui interrompt sa torpeur rêveuse pour laisser échapper sentencieusement de ses lèvres quelque phrase qui ferait honneur au Prud’homme de M. Henri Monnier ; c’est le bel Aouïmer, le joueur de flûte et le baladin errant ; c’est la Kabyle Haouâ, belle femme réduite à l’existence embryonnaire, qui charme comme une fleur sans conscience d’elle-même et embaume comme un parfum, ou bien ce sont ces Arabes vernis d’une couche de civilisation malsaine, qui, pour avoir vécu en France, n’en sont pas plus disposés à livrer à un Français les mystères de l’existence orientale, celui par exemple que l’ami Vandell appelle le vaudevilliste, ou ce Mohammed qui, pendant un été, fut le lion des bals publics de Paris, et qui, selon M. Fromentin, a pu parler de Mlle Palanquin à la belle Meçaouda. Ajoutez un riche marchand qui tient boutique pour apprendre des nouvelles, mais non pour en raconter, et qui ne répond pas toujours lorsqu’on l’interroge, ou un barbier, gazette de son quartier, mais qui sans doute trouve moyen de parler sans vous rien apprendre. Voilà, ou à peu près, tout ce que le voyageur a pu surprendre des mœurs intérieures de l’Algérie et du caractère arabe. C’est bien peu, comme vous voyez.

C’est bien peu, et cependant je doute qu’une plus longue intimité avec la vie arabe lui en eût fait découvrir beaucoup plus long. Dans le mutisme et dans la réclusion de la vie orientale, il n’y a pas seulement de la discrétion, il y a surtout et avant tout de l’indigence. Les Orientaux ne montrent rien de leur âme, parce que la plupart du temps ils n’ont rien ou à peu près rien à montrer, Nous sommes dupes à l’égard des Orientaux d’une illusion morale comparable à l’illusion physique du mirage. L’apparence est trompeuse chez les Orientaux : leur physionomie est pleine de promesses, le feu des yeux fait croire à l’existence d’un volcan intérieur, l’attitude suggère des idées de noblesse et de grandeur ; mais il est rare que les qualités morales répondent à ces apparences physiques. L’âme ne