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mosquée, lorsque les yeux la regarderaient sans la voir, et pourquoi importuner un honnête Africain pour se faire raconter une légende ou une anecdote que l’esprit écouterait avec distraction ? L’âme en ce moment s’est envolée dans le pays de la rêverie ou du souvenir, le cœur s’est pris à battre doucement en songeant aux amis absens ou à la patrie lointaine : combien il serait maussade et malséant d’interrompre ces charmantes sensations pour satisfaire à de prétendus devoirs et donner pédantesquement une leçon nouvelle à la curiosité, qui ne demande rien ! M. Fromentin tient à bien voir ce qu’il voit, il ne tient pas à tout voir, et surtout il ne cherche pas à voir quand même) comme certains voyageurs qui se bourrent à satiété de paysages et de spectacles, lorsque leur imagination n’a ni faim ni soif. M. Fromentin occupe dans la classe des voyageurs la place exactement opposée à celle qu’occupe cet ami qu’il nous a si bien décrit, l’excentrique Vandell, l’homme fait aux fatigues des voyages, tanné et bronzé par le soleil africain, qui s’indigne que la peau de l’homme soit moins solide qu’une étoffe de drap ou qu’un morceau de cuir, toujours prêt à prendre des notes et à faire des observations sur toute espèce de sujets. Tous deux avaient traversé un certain lieu appelé Sidi-Okba et visité la mosquée qui contient la sépulture d’un des premiers lieutenans du prophète, seulement il n’y avait qu’un seul des deux voyageurs qui eût profité de sa visite : c’était Vandell, qu’aucune préoccupation morale n’aurait pu empêcher d’observer l’architecture du monument et d’en apprendre l’histoire. Quant à M. Fromentin, il n’en avait gardé aucun souvenir, et nous le comprenons sans peine : ses nerfs, qui n’étaient pas aguerris comme ceux de l’ami Vandell, avaient été comme émoussés par la lassitude et la chaleur, et si son imagination avait eu quelque liberté, c’était pour rêver à la collation qui les attendait dans un jardin voisin, sous l’ombre d’un figuier, plutôt qu’à la mosquée et à son histoire. À cette torpeur momentanée de l’imagination vinrent se joindre au même instant des préoccupations bien capables d’effacer subitement de l’esprit le souvenir d’un monument et d’une légende. Au moment même où il sortait de cette mosquée, qu’il avait visitée avec distraction, il apprit la nouvelle de la révolution de février. « Ce jour-là, les palmiers faisaient, en froissant leurs feuilles, un certain bruit qui ressemblait à des inquiétudes… Je songeai à nos amis de France. Un coup de fusil tiré par hasard fit envoler des centaines de moineaux et de tourterelles qui dormaient à l’ombre dans le creux des arbres, et je me souviens qu’en voyant s’enfuir à tire-d’aile tous les oiseaux brusquement réveillés, je pensais que toute ma tranquillité d’esprit s’en allait aussi. Voilà ce qui me reste de ma visite à Sidi-Okba : la date d’une émotion politique mêlée subitement à