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l’on avait tuée fut dépecée et mangée ; sa chair avait beaucoup de ressemblance avec celle des phoques, cependant elle était moins molle. Son huile remplit deux tonnes de vingt gallons. Le fameux antiscorbutique que porte cette baleine n’est autre que sa peau, substance gélatineuse, grisâtre, épaisse d’un demi-pouce et presque sans saveur. Christian, l’Esquimau qui accompagnait l’équipage, tua encore deux rennes et sept phoques. C’était un infatigable chasseur, et il avait toute sorte de ruses pour prendre le gibier. Souvent il partait des journées entières, emportant sur le dos son kayak, et on le voyait revenir le soir avec une provision d’oiseaux ou traînant un phoque dont il avait fait sa proie ; d’autres fois il se couchait sur le bord de la glace avec l’interprète Petersen, à qui son long séjour au Groenland avait rendu les procédés esquimaux aussi familiers qu’à Christian lui-même, et ils attiraient ces amphibies en imitant leurs cris étranges. Enfin Christian avait inventé une machine d’un nouveau genre : c’était un très petit traîneau dont il se servait pour appuyer son fusil et assurer ses coups, et muni sur le devant d’une pièce de calicot blanc qui dérobait le fusil et le chasseur. Quand il apercevait un phoque se chauffant sur la glace au soleil, il poussait doucement vers lui son instrument de guerre, confondu par sa couleur avec la glace et la neige, et le fusillait à coup sûr. Ces exploits furent la clôture des chasses, qui avaient été non-seulement une grande distraction, mais encore une Tessource vitale pour l’équipage. Mac-Clintock a dressé la liste du gibier qu’on avait tué dans les deux hivernages ; elle peut donner une idée des subsides que le pôle arctique offre à ses visiteurs. En voici le total : 4 ours, 1 baleine, 8 rennes, 95 phoques, 20 renards, 9 lièvres, 350 volatiles et palmipèdes. On tua encore plusieurs ours et un narval, mais leurs cadavres dérivèrent sous les glaces. À l’hivernage du détroit de Bellot, on prit aussi quelques hermines ; ces charmans petits animaux avaient un moyen assez singulier de se dérober aux poursuites : ils plongeaient dans la neige et reparaissaient quelques mètres plus loin.

La continuation du dégel et un vent favorable étaient les auxiliaires impatiemment attendus par le yacht pour se dégager. Les circonstances atmosphériques se trouvaient bonnes : la température moyenne avait été pour juin plus 35 1/2 ; elle fut en juillet plus 40, c’est-à-dire environ 5 centigrades au-dessus de zéro. Les derniers loisirs de l’équipage étaient employés à compléter les préparatifs du départ ; le petit navire remplaçait par une riante peinture sa couche de givre et de neige ; on entendait constamment retentir le marteau du charpentier, et le commandant s’exerçait avec une ardeur extrême au maniement de la machine, afin de pouvoir s’aider un