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devant lui s’ouvrait l’ancrage groënlandais de Holsteinborg : il allait y réparer quelques avaries, faire de l’eau, remplacer les chiens qu’il avait perdus, compléter ses provisions, puis de là repartir plein de courage et de confiance pour réparer l’échec que ce dur climat lui avait imposé, et reprendre l’accomplissement de sa périlleuse mission.


II

Ce fut au commencement de juin 1858 que le Fox reprit la mer ; il était en avance de près de deux mois sur sa précédente campagne. Quelques baleiniers qui allaient se disperser à la poursuite des phoques, des narvals et des baleines blanches, qu’on trouve en assez grand nombre à cette latitude, l’avaient rejoint, et pendant quelques jours lui faisaient cortège. Parmi ces bâtimens s’en trouvait un, le Tay, dont le capitaine, un des navigateurs les plus expérimentés des mers arctiques, avait passé, quelques années auparavant, par une des plus terribles épreuves qui puissent frapper un marin dans ces régions. Le capitaine Deuchars commandait alors la Reine-Charlotte, et il s’efforçait de contourner le main-pack par la baie de Melville. Déjà il avait franchi les plus périlleux obstacles, et après avoir constamment veillé lui-même à la direction du navire, il allait prendre quelque repos par une belle matinée bien claire, lorsque des masses de glaces flottantes se montrèrent en tête du navire. Le capitaine resta sur le pont, mais au moment où l’on allait traverser ce nouvel obstacle, les glaces se rejoignirent, et le bâtiment naviguait au milieu d’elles, quand leurs aspérités frappèrent ses deux flancs à la fois à la hauteur du mât d’artimon. Il fut littéralement broyé ; en moins de dix minutes, ses dernières vergues disparurent, et les glaces se refermèrent sur l’abîme qui l’engloutissait ; l’équipage avait eu à peine le temps de se sauver dans les embarcations, et il fut recueilli par un baleinier. Deux ans auparavant, le capitaine Deuchars avait lui-même ramassé dans les glaces du main-pack un mât de perroquet et reconnu sur les flancs d’un glaçon la forme d’un navire qui y avait été longtemps incrusté ; c’étaient les seuls vestiges subsistans d’un naufrage encore plus complet que le sien.

Le Fox se sépara de ses compagnons de route, et, après avoir tourné avec une extrême circonspection les obstacles de la baie de Melville, il se trouva en vue du cap York, qui ferme cette baie à son extrémité occidentale. Là, par le 76e degré de latitude nord, campait un parti d’Esquimaux qui y avait passé l’hiver. En apercevant le bâtiment européen, ces pauvres gens se mirent à témoigner