gardait à son pauvre enfant resté sans mère, à cette frêle plante déjà flétrie. Pour les étrangers, il n’avait qu’un front sévère, un abord composé, sec et presque rude. C’est ainsi qu’il répondait à l’antipathie générale dont il se savait l’objet, et dont son fils, doué d’une extrême susceptibilité, avait déjà plusieurs fois subi les contre-coups douloureux.
Philip Wakem, — je ne l’ai pas encore nommé, — se trouvait d’autant plus mal à l’aise avec son nouveau compagnon d’études, qu’il savait le père de Tom engagé dans un procès où l’attorney Wakem occupait pour la partie adverse. Tom de son côté avait souvent entendu M. Tulliver, dans les épanchemens colériques auxquels il était sujet, traiter de « méchant homme » le légiste à l’instigation duquel on lui avait cherché chicane sur sa prise d’eau. Avant que le hasard ne les réunît, il existait donc entre ces enfans un germe d’inimitié. Tom d’ailleurs ne pouvait que mépriser « un bossu. » Pour lui, Philip Wakem n’était que cela. Philip en revanche, lorsqu’il eut reconnu l’infériorité intellectuelle de son nouveau camarade, se consola plus aisément d’être regardé de si haut ; il ne lui en coûta guère de pardonner un dédain qu’il pouvait rendre au centuple. Aussi, peu à peu familiarisés l’un avec l’autre, les deux élèves de M. Stelling en vinrent-ils à nouer d’assez bons rapports et à se rendre de mutuels services ; mais aucune intimité réelle n’existait et ne pouvait exister entre deux natures si dissemblables. Quelque tact qu’ait un enfant, il ne saurait, dans des rapports quotidiens, dissimuler toutes ses impressions, et Philip, en laissant percer de temps en temps la médiocre opinion qu’il avait des facultés intellectuelles de Tom, réveillait l’hostilité de vieille date qui sommeillait au cœur de ce dernier : elle s’exhalait en paroles naturellement peu ménagées et en allusions blessantes. Un jour surtout, dérangé à contre-temps au milieu d’une étude qui absorbait toutes ses pensées, Philip Wakem congédia un peu rudement son camarade, qu’exaspérèrent les termes dont il s’était servi. — Idiot ! c’est possible, répétait Tom en fureur ; mais je vous assommerais, si vous n’étiez, vous, une petite fille,… et je suis le fils d’un honnête homme, moi ! Sans s’en douter, Tom avait frappé juste. Ces derniers mots entrèrent comme un coup de poignard dans le cœur de Philip. Il pouvait les pardonner à la longue ; mais les oublier lui était désormais interdit.
Maggie, invitée par mistress Stelling à venir passer une quinzaine de jours avec son frère, apparut entre les deux enfans irrités comme un ange de paix. Le mouvement sympathique qui, dès l’abord, l’attira vers le pauvre petit Philip était ce noble instinct de compassion qui, chez les femmes, peut aller jusqu’à l’héroïsme. Il y avait d’ailleurs en elle une ferveur d’imagination, un goût naturel