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notable des montagnards du flanc droit résiste encore. Ce n’est pas tout que la soumission récente de Mohammed-Émin, l’actif et habile agent de Schamyl parmi les tribus adighés ou tcherkesses, et celle de la nation des Natoukhaïs, dans le voisinage des bouches du Kouban ; il faut encore vaincre la nation non moins considérable des grands et des petits Schapsougs, ainsi qu’une foule de tribus qui vivent dans un état d’hostilité sourde ou déclarée, et redoutables par leur agglomération possible ; il faut enfin réduire les restes de la vaillante confédération tcherkesse[1].

Des trois armées, régulière, cosaque et indigène, que la Russie possède au Caucase, quelle est donc celle qui pourrait en être retirée ? Ce n’est point assurément l’armée régulière, la seule qui ait une force véritablement agressive et qui puisse être utilement employée à l’extérieur. Sans elle, les Cosaques, colons sédentaires, troupes légères, propres seulement à des combats d’escarmouche et à un service de surveillance, sont impuissans, et la milice indigène perd toute direction et cesse d’être contenue. Ces trois armées, en se mouvant chacune dans la sphère d’attributions qui lui est propre et avec ses qualités particulières, se complètent mutuellement et constituent un tout indivisible. La seule pensée, le seul désir que puisse avoir la Russie est de mettre d’abord un terme à une guerre longue et sanglante où elle a englouti tant de soldats et de trésors. Alors il lui sera possible de diminuer son armée régulière, comme nous l’avons fait nous-mêmes en Algérie. Que plus tard, allégée de ce lourd fardeau, et lorsque la conquête aura fait place à un système de simple occupation, elle tourne ailleurs ses vues et une partie de ses forces du Caucase devenues disponibles, qu’elle appelle à son aide les montagnards, sujets douteux en temps ordinaire, mais auxiliaires dévoués dès que luira à leurs yeux l’appât du pillage, c’est là une de ces éventualités que l’Europe doit prévoir.

En supposant ces enfans du Caucase courbés d’une mer à l’autre sous le sceptre des tsars, on pourra dire qu’ils sont domptés, mais non encore pacifiés. Tous, et le Tcherkesse aristocrate et chevaleresque, et le Lesghi républicain et aux mœurs farouches, tous aiment la liberté et l’indépendance, comme l’aigle se plaît dans les espaces sans limites des régions aériennes où il plane solitaire. Le flanc gauche a été un foyer actif de l’islamisme ; quiconque a tant soit peu étudié la religion de l’Alcoran sait qu’elle entretient au fond du cœur de ses adeptes un enthousiasme ardent, la haine farouche de l’étranger et un esprit d’intolérance inflexible comme le dogme de

  1. Une partie des Tcherkesses a commencé à émigrer, il y a quelques mois, au nombre de soixante-dix mille environ, sur le territoire ottoman. Ils ont reçu des secours du sultan et des terres dans le nord de l’Asie-Mineure, aux environs de Sivas et d’Amasie.