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semblait se fondre entre nos mains. » Au Caucase, les vides occasionnés par les maladies et la mortalité, par le feu des montagnards, la désertion et la captivité, représentent une perte annuelle de vingt mille hommes pour les cinq années qui viennent de s’écouler.

Il en est autrement des Cosaques. Cantonnés depuis des siècles dans ces contrées, ils y sont devenus comme aborigènes et sont parfaitement acclimatés. Ils ne dépendent que d’eux-mêmes pour leur régime intérieur, leur entretien et le soin de pourvoir à leur bien-être. À l’exception des sotnias mobilisées en cas d’expédition, leur service est principalement sédentaire. On peut donc calculer à peu près leur nombre. En réunissant ceux de la Mer-Noire et de la ligne du Caucase, en comptant les exemptés temporairement et le corps de vétérans (Igotnié), qui doublent le chiffre de l’effectif, ce nombre monte à cent soixante-dix ou cent quatre-vingt mille hommes ; il faut y joindre les douze régimens de Cosaques du Don qui viennent tenir garnison au Caucase et se renouvellent tous les trois ans, régimens qui ont été portés à vingt dans les quatre ou cinq dernières années. Il est donc permis d’estimer à près de deux cent mille les Cosaques de l’armée du Caucase, dont moitié fait un service actif. Quant aux milices indigènes, leur nombre a dû subir des fluctuations incessantes suivant les phases de la lutte et les progrès de la conquête, et telles qu’il serait superflu de hasarder aucune évaluation. On assure que ces milices forment en ce moment un corps de quarante ou cinquante mille hommes.

Si l’on considère l’importance que la Russie a toujours attachée à la guerre du Caucase, l’activité qu’elle a mise à combler sans relâche les vides de l’armée régulière, si l’on met en ligne de compte la progression chaque jour croissante des milices montagnardes, on sera conduit à accepter comme très vraisemblable le chiffre de trois cent mille hommes auquel on évalue généralement l’armée du Caucase. C’est assurément un énorme déploiement de forces, hors de proportion en apparence avec l’étendue superficielle qu’il recouvre, mais qui semble nécessité par la configuration d’un pays que la nature a hérissé de formidables défenses, par le caractère belliqueux et résolu des populations qu’elles protègent.

Le chef de cette grande armée, le prince Bariatinsky, est sorti de ses rangs. D’abord colonel du régiment de la Kabarda, il fut promu en 1856 aux fonctions dont nous le voyons maintenant investi, en remplacement du général Mouravief, le même à qui est due la prise de Kars, et qui avait succédé en 1854 à Vorontzof. Les plus hautes dignités militaires ont été prodiguées au prince Bariatinsky : lieutenant de l’empereur au Caucase, il a été créé général feld-maréchal, et, par une distinction réservée aux têtes couronnées, aux