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où les clans sont régis par des institutions démocratiques, ils conservent, par oukaze impérial, le privilège d’élire leurs chefs et les membres du conseil populaire (mekémé)[1]. Seulement ils sont placés sous l’autorité supérieure et la surveillance d’un officier russe qui relève lui-même du commandant militaire de la contrée. Les khans, jadis indépendans, qui ont consenti à accepter le protectorat russe ont conservé la tranquille possession de leurs domaines. Ces princes sont : dans la partie orientale du Caucase, le schamkhal de Tarki, les khans de Kourin et de Kazy-Koumyk ; dans l’ouest, les princes de Mingrélie, d’Abkhasie et d’une portion de la Souanéthie. Le khanat d’Avarie, dont les murides, en 1830, exterminèrent avec tant de barbarie le jeune souverain Abou-Nountsal, et dont Schamyl s’était emparé en 1843, a été rétabli en 1859 en faveur d’Ibrahim-Khan, aide-de-camp de l’empereur. Comme récompense et en même temps comme garantie de leur fidélité, ces chefs obtiennent les distinctions honorifiques de la hiérarchie russe, et surtout des titres de fonctions militaires qui les rattachent plus étroitement à la personne du souverain, en leur créant des devoirs de vasselage et d’obéissance.

Toutes les carrières sociales, privées ou publiques, sont ouvertes à l’activité de tous ceux qui, parmi les nations annexées, veulent y prendre place, sans distinction, pour les droits et les privilèges, d’avec les sujets russes. Dans ce travail de fusion de tant d’élémens hétérogènes qu’on s’efforce de faire entrer dans la grande unité nationale, les ressorts mis en jeu par une politique persévérante que rien ne lasse et ne détourne sont rendus plus énergiques par les ressources du génie moscovite, si souple et si pliant. C’est cette politique qui a créé cet empire colossal dont les limites s’étendent aujourd’hui des rives de la Baltique, à travers toute l’Asie, jusqu’à la côte occidentale du continent américain. Toutes les grandes familles des pays conquis doivent fournir ou ont apporté déjà un appoint à l’armée. Si l’on ouvre le livre d’or de l’aristocratie russe, on verra qu’un certain nombre de noms nobles primitivement ou anoblis décèlent une origine asiatique. Pour nous borner ici aux pays caucasiens, nous citerons, parmi les Arméniens, les princes Madatof, Argoutinsky, Dolgorouky, Behboutof, le général Mélikof ; parmi les Géorgiens, les Dadian, les Orbélian, les Tchavtchavadsé, et une foule d’autres, qui tous ont pris part, avec plus ou moins d’éclat, aux guerres d’Asie ; enfin le plus illustre de tous, le prince Bagration, le descendant des anciens rois de Géorgie et d’Arménie, mort héroïquement sur le champ de bataille de la Moskova. Ces braves

  1. Ce conseil juge les procès civils ou criminels et les affaires communales d’après la coutume adet et la loi de l’Alcoran schariet.