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dogmes et de leur histoire. Il est bien permis cependant de concevoir quelques soupçons d’après l’aveu qui échappa à la bonne vieille du village d’Ephremovka chez laquelle il reçut l’hospitalité, et qui lui dit que ces colons sont un reste des doukhobortsy, établis autrefois sur la Malotschna, près de la mer d’Azof. Or M. de Haxthausen, dont j’ai déjà eu l’occasion d’invoquer l’autorité non suspecte contre la Russie, et qui a étudié ces derniers sectaires avec soin, nous apprend que les crimes affreux qu’ils commettaient dans leurs repaires mystérieux ayant été découverts après la mort de leur chef Kapoustin, une enquête eut lieu pendant les années 1835 à 1839, et que par suite ils furent transférés au Caucase pour être soumis à une surveillance rigoureuse. À l’appui de ce qu’il avance, l’économiste allemand cite tout au long la proclamation adressée aux doukhobortsy de la Malotschna par le prince Vorontzof, alors gouverneur de la Nouvelle-Russie et de la Bessarabie.

J’ai dit déjà que M. de Gilles est un peintre habile, et en cette qualité il se complaît à nous décrire sous un aspect séduisant l’intérieur domestique des Cosaques dans leurs stanitsas. Il nous montre leurs demeures comme des nids arrangés avec de ces petits comforts dont les femmes seules ont le secret ; on y voit tapis, piano, volumes de musique, albums, journaux, nouveautés littéraires importées de France. Le soir, des groupes se forment autour de la table hospitalière où le thé se prépare, servi par de gracieuses mains. Les officiers, au retour d’une expédition sérieuse, vont y goûter le charme d’une causerie de salon. Là d’aimables dames venues d’Europe, ou même nées au Caucase, mènent une existence de reine au milieu de guerriers chevaleresques. Je suis loin de vouloir contester la vérité de ce tableau, et je suis convaincu que l’auteur reproduit avec fidélité le spectacle qu’il a eu sous les yeux dans les maisons privilégiées où son rang et son mérite personnel lui ont valu un accueil empressé ; mais ce n’est là évidemment qu’un coin de la société du Caucase, un détail exceptionnel de la vie russe plutôt que de la vie cosaque chez les officiers le plus haut placés et façonnés aux habitudes aristocratiques des salons de Saint-Pétersbourg. La vulgaire existence des soldats que nous aurions voulu connaître a été laissée dans l’ombre. Or des témoignages dignes de foi attestent que les Cosaques n’ont rien perdu ni des défauts ni des qualités de leurs ancêtres, et que s’ils ont encore des mœurs simples et pures, ils ont gardé aussi la grossièreté primitive, l’humeur querelleuse, le penchant à l’ivrognerie, et ces instincts de pillage et de dévastation à outrance qui les ont rendus si tristement célèbres.