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qui défiait les poursuites des armées russes ; trois de ses lieutenans le livrèrent à Panin, et il fut expédié, renfermé dans une cage de fer, à Moscou. Cet homme de tant de courage et de résolution qui avait ébranlé un instant le trône de Catherine, alors au faîte de la gloire et dans sa toute-puissance, reçut en tremblant, comme un criminel vulgaire, la mort de la main du bourreau.

C’est surtout parmi cette partie des populations imbues des doctrines du starovérisme (vieux croyans) que Pougatchef rallia le plus de partisans. Ce schisme, protestation énergique de la vieille Russie contre les réformes introduites au XVIIe siècle dans la liturgie et les livres sacrés par le patriarche Nicon, et plus tard par Pierre le Grand dans l’ordre civil, n’a fait que grandir et se développer à l’état d’opposition politique et religieuse, sans que les rigueurs ou les concessions du pouvoir aient jamais réussi à l’affaiblir[1]. Disons, à la louange de l’empereur Nicolas, que le premier il proclama le principe d’une large tolérance à l’égard des starovères, et qu’il inaugura l’application de ce principe à partir de 1852 avec cette volonté ferme et arrêtée qu’il apportait en toutes choses. Si ses successeurs suivent la même ligne de conduite avec persévérance, si surtout leur vigilance en impose la stricte observation aux agens du pouvoir, ils hâteront le retour des dissidens ; l’instruction répandue parmi eux et l’invasion des idées modernes, qui, en Russie comme partout ailleurs, gagnent les peuples et le gouvernement, même à leur insu, feront le reste. Il n’est pas rare de voir, dans des familles starovères enrichies par le commerce, un père, Moscovite de la vieille roche par la longue barbe et le caftan asiatique, avoir des fils qui se rasent le menton, endossent la redingote et le frac européens, et abjurent sa croyance, ainsi que le costume suranné qui en est le symbole. Les Cosaques, pharisaïquement attachés au culte du passé, sont restés fidèles au starovérisme. Pour eux, c’est un souvenir de leur antique indépendance, souvenir vivace, puisqu’il a sa racine dans les profondeurs de la conscience. C’est le même esprit qui animait les strélitz contre les réformes de Pierre le Grand. M. de Gilles a été frappé surtout de rencontrer parmi les Grebenskoï, ce régiment modèle, des starovères très fervens. Leur croyance rigide imprime à leurs physionomies martiales quelque chose de cet air grave et austère sous lequel nous nous représentans les moines guerriers de nos anciens ordres de chevalerie. Pour se faire une idée de la position dans laquelle le starovérisme a placé les Cosaques vis-à-vis de l’église orthodoxe et du pouvoir politique, il n’est pas inutile de savoir qu’ils appartiennent à la fraction

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1858.