J’ai réservé une place à part à une matinée musicale donnée par M. Francis Planté dans les salons d’Érard. M. Planté est un pianiste français du plus rare talent, dont le jeu facile, élégant, ferme et brillant tout à l’a fois, n’est étranger à aucun genre de musique. Élève du Conservatoire et particulièrement de M. Marmontel, M. Planté a été pendant plusieurs années de la Société des Quatuors de MM. Allard et Franchomme, où il s’est familiarisé avec la musique des maîtres, qu’il est parvenu à interpréter d’une manière supérieure. La belle séance dont nous parlons a commencé par le quintette de Beethoven pour piano et instrumens à vent. À ce morceau ont succédé un fragment d’une sonate de Mozart, un autre fragment d’Haydn et la Chasse de Mendelssohn. Après la sonate en ré pour piano de Beethoven, M. Planté a terminé par une petite merveille, une composition pour le piano de Rossini, qui s’amuse à graver ainsi sur des pierres fines les plus adorables caprices de son génie, qui n’a rien perdu de son brio et de sa fraîcheur printanière. Le public nombreux et choisi qui était venu entendre M. Planté a été ravi de son jeu délicat, de sa bonne tenue et de la modestie qu’il apporte à ces séances d’apparat, où tant d’artistes virtuoses prêtent au ridicule.
Puisque le nom de Rossini se trouve placé tout naturellement dans ces annales de la musique de chambre, nous voulons faire part aux lecteurs d’une bonne fortune qui nous est arrivée cet hiver. Dans une de ces maisons d’artiste où la musique ne cesse d’être cultivée pendant toute l’année avec autant d’ardeur que de goût, chez M. Gouffé, l’habile contre-bassiste de l’Opéra et de la Société des Concerts, nous avons eu le plaisir d’entendre en présence de Rossini un quatuor de M. Adolphe Blanc pour piano, premier, second violon et alto que l’auteur a dédié au grand maître qui l’honore de sa bienveillance. Il y a beaucoup de talent dans le quatuor de M. Adolphe Blanc ; les idées en sont claires, faciles, bien déduites, modulées avec art, et le style excellent et sans faux alliage. La partie de piano a été exécutée avec une vigueur et une netteté singulière par M. Bernhard Rie, un Bohême, un élève de M. Dreyschok, qui fait grand honneur à son pays ainsi qu’à son maître. Une autre composition remarquable de M. Adolphe Blanc, qui a été exécutée pour la première fois à la matinée dont nous parlons, c’est un septuor pour instrumens à cordes et instrumens à vent, où l’auteur ne s’est peut-être pas assez défendu contre de redoutables souvenirs : je veux parler du septuor de Beethoven. M. Blanc semble avoir hésité, dans la composition de ce morceau, entre le penchant de sa nature, qui le porte vers les formes mélodiques, un peu à la manière de Boccherini, et le désir de se montrer sous un nouvel aspect, en pratiquant un style plus compliqué d’harmonie et de modulations. La tentative, pour n’avoir pas complètement réussi, ce nous semble, fait honneur cependant au talent réel de M. Adolphe Blanc, l’un des rares compositeurs français qui cultivent avec succès le genre si difficile de la musique de chambre. M. Camille Saint-Saëns est aussi un jeune compositeur français qui fait de louables efforts dans la musique instrumentale. À une matinée qu’il a donnée dans les salons d’Érard, il a fait exécuter un quintette pour deux violons, alto, violoncelle et piano ; et plusieurs autres morceaux de sa composition, qui révèlent plus de facilité d’écrire que d’inspiration. Nous y avons remarqué cependant un scherzo pour piano et harmonium qui a été fort bien exécuté par l’auteur lui-même.