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concert qu’il a donné à la salle Herz le 2 mars, M. Jaell a interprété, avec M. Sivori, la sonate pour piano et violon (opera 30) de Beethoven, d’une manière délicieuse, avec une élégance et une délicatesse de touche qui ont ravi l’auditoire ; mais lorsque M. Jaell a voulu exécuter avec M. Hans de Bulow une de ces divagations à quatre mains que M. Liszt intitule Préludes symphoniques, tout le monde s’est levé, après trente ou quarante mesures, et a déserté la salle. C’est que vous ne savez pas ce que c’est que les Préludes symphoniques ! Écoutez alors l’explication qu’en donne M. Liszt lui-même : « Notre vie est-elle autre chose qu’une série de préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ? — L’amour forme l’aurore enchantée de toute existence ; mais quelle est la destinée où les premières voluptés du bonheur ne sont point interrompues par quelque orage dont le souffle mortel dissipe ses belles illusions, dont la foudre fatale consume son autel, et quelle est l’âme cruellement blessée qui, au sortir d’une de ces tempêtes, ne cherche à reposer ses souvenirs dans le calme si doux de la vie des champs ? Cependant l’homme ne se résigne guère à goûter longtemps la bienfaisante tiédeur qui l’a d’abord charmé au sein de la nature, et lorsque la tempête a jeté le signal des alarmes, il court au poste périlleux, quelle que soit la guerre qui appelle à ses rangs, afin de retrouver dans le combat la pleine conscience de lui-même et l’entière possession de ses forces[1] ?… » Voilà ce que c’est que les Préludes symphoniques, et je puis assurer que la musique est digne du commentaire qu’on vient de lire.

Un pianiste polonais qui a fait son éducation au Conservatoire de Paris, M. Wieniawskl, frère du violoniste, a donné aussi un concert dans la salle de M. Herz le 26 avril. Il y a fait entendre un concerto de sa composition pour piano et grand orchestre, qui ne nous a pas paru contenir beaucoup d’idées nouvelles. M. Wieniawski est un peu l’imitateur de la manière brusque de M. Rubinstein, c’est-à-dire que tous deux visent à reproduire cette partie dramatique du style symphonique de Beethoven qui a troublé tant de pauvres esprits. Il y a cependant du talent dans le concerto de M. Wieniawski. L’andante et l’allegro final nous ont particulièrement frappé. Comme pianiste, M. Wieniawski a une exécution vigoureuse, mais dépourvue de grâce ; ce n’est pas non plus par la qualité du son que se recommande le jeu de M. Joseph Wieniawski.

Parmi les enfans bien doués que la Pologne a fournis à l’art musical, et ils sont assez nombreux, nous ne devons pas oublier le jeune Lotto, violoniste de talent qui a fait aussi son éducation au Conservatoire de Paris, sous la direction particulière de M. Massart, qui lui porte une affection de père. À douze ans, en 1853, M. Lotto a remporté le premier prix de violon, et depuis lors il n’a fait que grandir et nourrir son esprit de bonnes et solides études qui l’ont dignement préparé à la carrière de virtuose et de compositeur qu’il veut parcourir. M. Lotto a donné un concert dans la salle Herz, où il a exécuté le concerto pour violon et à grand orchestre de Mendelssohn. M. Lotto a d’excellentes qualités, de la chaleur, une grande justesse, de la précision et cette heureuse souplesse de l’esprit qui s’approprie aisément le style d’un maître. M. Lotto a fait entendre également un morceau de sa composition

  1. Méditations poétiques, en tête du programme.