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Dans l’ombre reluisait le tronçon d’une épée,
Qui gisait, rouge encor, près d’une main coupée…
La débauche et le crime avaient passé par là !

Quand la porte s’ouvrit, le flambeau vacilla ;
Mais les hôtes nouveaux de la maison déserte
Entrèrent sans effroi. L’un portait un bandeau
Sur les yeux ; l’autre avait la figure couverte
D’un voile qui flottait comme un frêle manteau.
Tous deux étaient pieds nus, et leur tunique blanche
Trahissait de leurs corps la grâce et la beauté.
La femme offrait, malgré les splendeurs de sa hanche,
L’inviolable fleur de la virginité ;
Ses cheveux bruns, noués par un ruban de moire,
Sous le voile laissaient tomber leur onde noire.
Elle était svelte et grande à côté de l’enfant,
Qui levait haut le front, comme un dieu triomphant,
Tandis qu’elle, debout comme une jeune reine,
Dans sa droite tenait sa faucille d’ébène,
Où la lampe allumait un fantastique éclair.
Des flèches, un carquois, un arc, c’étaient les armes
De l’archer blond, qui vit de soupirs et de larmes,
Qui consume les cœurs et dessèche la chair.


III


On montait, pour entrer dans une chambre froide,
Un escalier tournant par une courbe roide ;
Le sol penchait, humide, inégal et glissant ;
Des gouttes d’eau pleuvaient le long de la muraille,
Et l’on respirait là comme une odeur de sang.
Deux lits ou deux grabats, gonflés de vile paille,
Menaçaient le sommeil des spectres du tombeau.

La moissonneuse dit en posant le flambeau :
« N’es-tu pas, voyageur, un peu las du voyage ?
De tes pieds nus la pluie a rougi les blancheurs ;
Le sommeil repeindra l’éclat de tes couleurs.
Mais, avant de dormir, montre-moi ton visage,
Détache ce bandeau qui me cache tes yeux,
Comme un jaloux nuage où se perd une étoile ;
Je lèverai pour toi mon voile, si tu veux. »
L’un ôta son bandeau, l’autre écarta son voile…