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pour n’être ni violente ni soudaine, n’en est pas moins profonde. Toutes les créations de Raphaël, à quelque époque de sa vie qu’elles appartiennent, ont un air de famille, une saveur particulière qui ne permet pas de les méconnaître, et aucun des maîtres du grand siècle de l’art n’a mis dans ses œuvres plus d’unité qu’il n’en a su mettre dans les siennes en s’abandonnant à la pente naturelle de son génie.

La plupart des tableaux que Raphaël fit à Florence sont de grandeur et d’importance moyennes. Il n’aborda qu’une seule fois avant de venir à Rome la peinture dramatique, dans la Mise au Tombeau du palais Borghèse, et cet ouvrage, exécuté en 1508, précéda de très peu de temps son départ de Florence. La Vierge au baldaquin du palais Pitti, celles de la casa Tempi au musée de Munich, de la casa Colonna à Berlin, la Madone au palmier de la collection Bridgewater, la Sainte Catherine de la galerie nationale de Londres, la Vierge de la galerie Delessert, appartiennent au séjour de Raphaël à Florence. Ces œuvres charmantes qu’il a tant multipliées ont des caractères communs qui rendent superflue l’étude de chacune d’elles, et je m’arrêterai seulement à la Belle Jardinière, à la Vierge au chardonneret et à la Vierge au voile, qui sont les plus célèbres, qui me paraissent être les mieux caractérisés parmi les tableaux de cet ordre qu’il composa à cette époque.

La Belle Jardinière, qui avait été commandée à Raphaël par un gentilhomme siennois, à qui elle fut achetée pour François Ier, ne fut peinte qu’en 1508, très peu de temps avant le départ du Sanzio pour Rome. Ce serait donc le dernier des ouvrages qu’il aurait exécutés en Toscane, et Vasari dit même qu’il laissa inachevée la draperie bleue de la Vierge en chargeant Ridolfo Ghirlandajo de la terminer. Ce tableau admirablement conservé, à tous égards l’un des plus précieux que possède le Louvre, est loin cependant d’être aussi avancé, au point de vue technique, que la Vierge au chardonneret et la Vierge au voile. La couleur, claire, ambrée, est égale et sans vigueur, le dessin, très juste, n’est ni serré ni précis ; mais la disposition est naturelle, facile, heureuse, poétique. C’est une de ces compositions pour ainsi dire providentielles qui naissent spontanément dans l’imagination d’un peintre tel que Raphaël, qu’aucune hésitation, aucune trace d’effort ne dépare, et auxquelles le goût le plus sévère ne saurait rien reprendre. La Vierge est assise dans un paysage vaste et ouvert : dans le fond, quelques montagnes, une rivière à gauche, à droite un village ; un ensemble simple, rural et vrai. La jeune mère, les yeux baissés, regarde le Christ, qui lève la tête vers elle. Saint Jean, à genoux sur la droite, tient une croix de roseau. C’est une scène calme et pure, une image idyllique de bonheur innocent et tranquille. On dit que le modèle qui servit à Raphaël