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n’avait sans doute pas eu de peine à discerner ses rares dispositions, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il l’ait chargé de traduire en dessins les premières esquisses de ses compositions. C’est à cela, je crois, que se borne la participation de Raphaël, assez riche de sa propre gloire pour qu’on ne prive pas d’un honneur mérité l’auteur de l’un des plus vastes et des plus beaux ouvrages d’art exécutés au commencement du XVIe siècle.


II

Raphaël se rendit à Florence à la fin de 1504. La lettre de recommandation que lui donna Jeanne de La Rovère, duchesse d’Urbin, pour le gonfalonier Soderini, est datée du 1er octobre de cette année. « Cette lettre vous sera remise, dit-elle, par Raphaël, peintre d’Urbin, jeune homme plein d’heureuses dispositions et qui désire passer quelque temps à Florence pour y étudier… Il est aussi intéressant qu’aimable de sa personne, et je désire qu’il se perfectionne dans son art… Tout ce que vous pourrez faire d’agréable et d’utile pour lui, je le tiendrai comme fait à moi-même. » Il ne semble pas que le gonfalonier, très occupé alors des travaux qu’il faisait exécuter au Palais-Vieux par Léonard de Vinci et par Michel-Ange, ait donné grande attention à cette lettre. Raphaël de son côté, qui venait de passer sans transition de l’existence tranquille qu’il menait dans les montagnes d’Ombrie à la vie agitée de Florence, et qui contemplait pour la première fois les chefs-d’œuvre d’un art dont il n’avait nulle idée, dut éprouver un moment de trouble et d’incertitude en voyant ce qui lui manquait, et désirer reprendre ses études plutôt que d’entrer en lice avec des concurrens qu’il ne pouvait pas espérer d’égaler encore. Rien n’indique qu’il ait cherché à se rapprocher de Michel-Ange et de Léonard de Vinci[1], et bien qu’il ait sans doute connu ce dernier, très lié avec le Pérugin, on comprend qu’il éprouvât peu de sympathie pour les deux athlètes de l’art toscan, dont les tendances excessives contrastaient si vivement avec ce qu’il avait vu en Ombrie et devaient effrayer une nature délicate et féminine comme la sienne. Il étudia et copia les fresques de Masaccio au Carmine, l’école obligée de tous les jeunes peintres à cette époque. Il vit les antiques que Laurent de Médicis avait rassemblés dans les jardins de Saint-Marc, et se lia très intimement avec quelques jeunes gens de son âge, entre autres avec Ridolfo Ghirlandajo et avec Aristotile di San-Gallo. Toutefois celui qui agit le plus puissamment sur lui, ce fut Fra Bartolomeo. Son enthousiasme religieux,

  1. On ne trouve guère une influence un peu marquée de Léonard sur Raphaël que dans les portraits d’Agnolo Doni et de sa femme Maddalena Strozzi, au palais Pitti, ainsi que dans la Vierge au palmier, de la collection Bridgewater.