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Ces peintres croyans, camaldules ou dominicains pour la plupart, se contentèrent d’abord d’orner de miniatures des livres de chœur, des missels ou des objets destinés au culte. Sans préoccupation mondaine ni science, ils mirent dans leurs œuvres une grâce et une chasteté, une ardeur convaincue, souvent un goût et un sentiment instinctif de la beauté, qui jettent l’âme dans l’extase religieuse qu’ils éprouvaient eux-mêmes en retraçant ces pieuses images. N’étant poussés par aucun motif de gloire ni d’intérêt, ils n’ont rien fait pour conserver leurs noms ; c’est à peine si nous connaissons ceux de dom Silvestre et de dom Jacques le Florentin, du monastère des Anges, qui ornèrent de merveilleuses miniatures le livre de chœur qu’on admire à la Bibliothèque Laurentienne, et de don Barthélémy, également moine de ce couvent, qui, au milieu du XVe siècle, essaya la peinture en grand, fit un nombre considérable de tableaux d’église, et travailla même avec le Pérugin à la fresque du Christ donnant les clés à saint Pierre de la chapelle Sixtine.

C’est Angelico, le pieux moine de Fiesole, qui personnifie dans ce qu’elle offre à la fois de plus pieux et de plus savant la peinture mystique d’Ombrie. Il avait pratiqué la miniature comme ses prédécesseurs, et nous savons qu’aidé de son frère, il orna de peintures un certain nombre de manuscrits aujourd’hui perdus. Le succès qu’obtinrent ses peintures murales et ses tableaux d’autel ne lui laissèrent pas le loisir de continuer des travaux que la découverte de l’imprimerie et de la gravure devait faire abandonner tout à fait. Ses fresques des corridors et des cellules du couvent de Saint-Marc, l’admirable Crucifixion du réfectoire, les tableaux qu’il avait exécutés dans diverses villes de la Toscane pendant la persécution que subit sa confrérie, la chapelle du Vatican, qu’il décora à la prière d’Eugène IV, firent sortir son nom de l’obscurité. Toute la tendresse et la ferveur de Fra Angelico débordent dans ces naïfs et émouvans ouvrages. On sait qu’il s’agenouillait avant de commencer à peindre, qu’il ne pouvait représenter le Christ en croix sans que son visage se baignât de larmes, et il a mis dans toutes ses compositions l’impression vivante de ses sentimens sincères et profonds. Son élève Benozzo Gozzoli et son contemporain Gentile da Fabriano[1], l’un dans ses grandes fresques du Campo-Santo et dans son Adoration des Mages du palais Riccardi, l’autre dans les nombreux tableaux qu’il fit dans presque toutes les villes d’Italie depuis Venise jusqu’à

  1. Il ne paraît pas que Gentile soit l’élève de Fra Angelico, comme le dit Vasari. Il était son contemporain, probablement son aîné de quelques années, et il se pourrait même qu’il ait été son maître. Il fut certainement celui de Jean Bellin. Il naquit vers 1370, et mourut à Rome très probablement en 1450. Mündler, Essai d’une analyse critique de la notice des tableaux italiens du musée du Louvre.