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elle une villa sur les rives délicieuses du lac de Corne » que n’atteint pas le souffle des hivers. Sans refuser ces propositions, Ghislaine avait manifesté de la manière la plus positive l’intention d’aller d’abord passer quelque temps à Katzis. Là ses idées prirent subitement une direction toute religieuse et pacifique. La solitude, qui n’est saine que pour les êtres doués d’une raison inébranlable, devait exercer une action énergique sur l’esprit de Ghislaine. Les espérances et les terreurs de la religion, toutes les impressions de son adolescence, reprirent leur primitive puissance, et ses regards se tournèrent vers le ciel avec la pétulance maladive qui caractérisait toutes ses déterminations. Seulement, comme la religion catholique exalte la sensibilité plutôt qu’elle ne la comprime, son cœur s’ouvrit de plus en plus aux sentimens tendres qui lui étaient autrefois assez étrangers. Elle finit par ne garder qu’un vague souvenir de ses griefs contre le duc. En même temps le penchant qu’elle avait pour Norbert se transforma, dans ses extases solitaires, en une passion bizarre, dans laquelle les gracieux souvenirs de la jeunesse se mêlaient aux vives ardeurs du mysticisme. Son imagination, planant au-dessus de ce monde misérable, se transportait dans un paradis rempli de merveilles, où elle souriait sans crainte et sans remords à l’ami transfiguré de ses premières années. Cette âme, si longtemps tourmentée, avait enfin découvert son idéal, et après tant de souffrances et de combats elle eût trouvé dans cet idéal une espèce de calme et peut-être de bonheur, si Norbert eût voulu marcher docilement dans la voie nouvelle où la jeune duchesse s’était engagée. Malheureusement entre elle et son cousin le temps avait creusé un profond abîme. Au milieu des plus graves agitations, elle avait gardé intactes toutes les croyances de ses jeunes années. Lui, au contraire, avait subi d’une manière irréparable l’influence d’un siècle essentiellement sceptique.

Ce problème était la préoccupation constante de la pauvre Ghislaine. Une jeune religieuse, devenue son amie et sa confidente, prenait une part de plus en plus grande aux pensées pénibles qui agitaient la duchesse.

Il y avait trois ans qu’Yvonne de Kergarouët avait pris le voile. Elle était la fille unique d’un gentilhomme breton chez lequel Norbert avait passé quelque temps après le mariage de sa cousine, Yvonne était de petite taille, et ses traits n’étaient point délicats ; mais elle avait beaucoup de physionomie, une douceur sans égale, une voix pénétrante, une bienveillance qui semblait embrasser la création, une discrétion telle qu’on n’avait jamais pu lui reprocher une parole hasardée, un tact si grand qu’elle comptait parmi ses admirateurs les misanthropes les plus décidés d’une province fertile en Alcestes. Quand on la connaissait peu, on était porté à croire que