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des vampires qui tournoient silencieusement au-dessus d’elles, s’abattent sur les plaies de leur dos et en sucent avidement le sang. Souvent une seule nuit passée au Volador suffit pour tuer un cheval ou un taureau.

Le ruisseau qui coule à côté de la cabane du Volador roule dans ses sables une grande quantité de paillettes d’or ; mais toutes les tentatives qu’on a faites pour les recueillir ont été vaines : il a fallu s’enfuir devant les moustiques. Le vice-consul français de Rio-Hacha, qui a obtenu la concession des placers du Volador, y avait fait transporter, deux années auparavant, une tente de gaze très ingénieusement disposée. Pendant deux jours, il essaya de vivre sous cet abri pour surveiller le travail de ses ouvriers : ceux-ci étaient gantés et avaient la figure voilée ; mais à la fin du deuxième jour, maître et ouvriers abandonnèrent d’un commun accord leur tâche, aussi fatigante que lucrative. Plus tard, un Italien avide, qui avait reçu du vice-consul la permission de laver les sables aurifères du Volador, ne put pas même travailler pendant deux jours entiers, et il quitta la besogne après avoir recueilli la valeur d’environ 10 piastres. Les seuls êtres humains qui pourraient impunément exploiter le ruisseau du Volador, parce qu’ils sont protégés par une carapace de lèpre, les habitans de Dibulla et des villages voisins, sont justement les seuls qui ne tiennent aucunement à l’accroissement de leurs richesses.

Nous n’avions par bonheur aucune raison de nous arrêter au rancho du Volador, et nous marchions d’autant plus rapidement que nous voulions atteindre le prochain campement avant l’orage qui éclate régulièrement tous les jours dans les vallées de la Sierra-Nevada entre deux heures et quatre heures de l’après-midi. Le sentier franchit d’abord la Cuchilla, arête granitique de 1,800 mètres de hauteur, puis traverse divers ruisseaux assez dangereux dans la saison pluvieuse, et contourne un bassin d’une fertilité exubérante où se trouvait, il y a trois siècles, le village indien de Bonga. Au-delà coule le torrent de Santa-Clara, le plus large de cette région des Montagnes-Neigeuses. Quand notre petite caravane arriva sur le bord de ce cours d’eau, l’orage déjà commençait à gronder, et les feuilles des arbres frémissaient sous le vent impétueux qui précède toujours la pluie. Notre bœuf entra philosophiquement dans l’eau et raidit ses fortes jambes contre la violence du courant. La bonne idée de sauter sur son dos et de nous faire porter jusqu’à l’autre rive nous vint trop tard, et nous le suivîmes pas à pas en essayant d’insérer nos pieds entre deux pierres et en opposant tout le poids de nos corps à la masse d’eau écumeuse. Plus d’une fois roulés à travers les rochers, nous nous accrochions aux blocs couverts d’écume,