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de l’action, le général Maydel avait été blessé d’un coup de feu au bras ; il resta néanmoins à la tête de ses troupes jusqu’au moment où il fut atteint d’un second coup de feu en pleine poitrine. Le commandement revenait au colonel du régiment de Mingrélie, Sérébriakof ; mais il venait d’être également blessé. Ce fut le colonel du régiment des grenadiers du Caucase, prince Tarkhan-Mouravief, qui le prit à son défaut. Saisissant un drapeau, cet officier s’élança contre la redoute, à la tête du 2e bataillon des grenadiers du Caucase et de quelques compagnies du bataillon des tirailleurs du même corps. Il arriva ainsi jusque dans le fossé ; mais après de vains efforts pour escalader le parapet, il dut y renoncer. Il fallut demander des renforts au général Mouravief, qui envoya successivement quatre bataillons tirés de la réserve, sans que leur arrivée changeât en rien la situation. Les artilleurs des deux batteries qui avaient accompagné la colonne du général Maydel étaient parvenus à hisser leurs pièces sur le plateau ; mais la crête sur laquelle la redoute était construite dominant tout l’espace environnant, ils se trouvaient encore placés trop bas pour répondre efficacement au feu des Turcs, qui, parfaitement abrités par leurs retranchemens, tiraient au contraire à coup sûr. Voulant à tout prix en finir, le général Mouravief envoya un nouveau renfort de quatre bataillons, sous les ordres du général Bronewsky. L’attaque fut renouvelée sur toute la ligne, mais au moment même le général Bronewsky fut blessé. Le colonel du régiment de Riajsk, Ganetsky, lui succéda dans le commandement. Saisissant, lui aussi, le drapeau de son régiment, il amena encore une fois ses soldats jusque dans le fossé, sans parvenir à pénétrer dans la redoute. Il fut blessé. Le colonel Moskalef, qui le remplaça, fut tué. Privés de tous leurs chefs de corps, les officiers et les soldats n’en persistèrent pas moins à se maintenir dans les positions qu’ils occupaient. À diverses reprises, ils se lancèrent avec une véritable rage tantôt contre Tachmas-Tabia, tantôt contre Youksek-Tabia ; partout ils furent repoussés. Tant d’efforts infructueux avaient fini par jeter du désordre dans’ les rangs des Russes. Enhardis par le succès de la défense, les Turcs se risquèrent à sortir du fort Lake ; ils parvinrent même, dans un de ces mouvemens offensifs, à couper un bataillon du régiment de Riazan, qui, sous les ordres du colonel Kauffmann, s’était dirigé contre Youksek-Tabia. Ce bataillon, déjà décimé par sa tentative malheureuse, battu en tête et en queue par l’artillerie des lignes de Tchakmak et de Chorak, assailli de tous côtés par les Turcs, se trouva dans la situation la plus critique. Cependant pour des soldats de l’armée du Caucase il ne pouvait être question de se rendre aux Turcs. Une résolution désespérée les sauva. Le colonel Kauffmann, entendant retentir au loin le canon du général Bazin, se décida à traverser tout le plateau pour