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Cependant quelques convois de vivres venant d’Olty se faisaient encore jour en suivant par un long détour la route d’Ardahan ; mais cette ressource devait bientôt échapper aux assiégés. À la fin de juillet, un détachement de la garnison d’Achaltziche, sous les ordres du général Bazin, vint occuper les deux versans des monts qui séparent la plaine d’Ardahan de celle de Kars. La ville se trouva ainsi complètement bloquée.

L’armée russe occupait alors des positions habilement choisies. Le général Mouravief avait son quartier-général à Tchivtli-Tchaï ; le comte Nyrod était à Kani-Keuï, le colonel Edigorof à Hadji-Véli-Keuï, le général Baklanof à Mélik-Keuï, le colonel Doudoukof Korsakof à Bozgaly, le colonel Ungern-Sternberg au lac Aïger-Gœl, le général Bazin à Maraga. La force totale de ces différens corps est évaluée par le colonel Williams à trente-trois bataillons d’infanterie, cent pièces attelées et plus de 10,000 hommes de cavalerie. Des renforts rendus disponibles par l’évacuation des ports de la Mer-Noire étaient encore attendus. Inférieure en nombre, plus inférieure encore en discipline, l’armée turque était hors d’état d’entreprendre un mouvement offensif. Il ne lui restait aucun secours à attendre de l’intérieur de l’empire. Le séraskier avait fait parvenir cette triste nouvelle au mouchir ; il ne pouvait distraire la moindre partie des troupes qui se trouvaient en Bulgarie et en Crimée. Le divan projetait bien d’exécuter en Géorgie une diversion qui forçât le général Mouravief à lever le siège de Kars ; mais, pour donner suite à ce projet, il devait attendre que la prise de Sébastopol rendît disponible son armée de Crimée. Dans le moment, les seules troupes qu’il pût envoyer en Arménie consistaient en deux bataillons d’infanterie, quatre escadrons de cavalerie et quelques centaines d’hommes appartenant à l’artillerie des Dardanelles. Vély-Pacha n’avait en réalité que 5 ou 6,000 hommes de troupes régulières, auxquels était venu se joindre un nombre à peu près égal de bachi-bozouks, plus disposés à piller qu’à se battre. Avec de pareilles troupes, il était impossible à ce général de se hasarder contre les Russes. Aussi demeurait-il blotti derrière ses retranchements de Kopri-Keuï ; il allait même se voir forcé d’abandonner cette position pour en prendre une plus éloignée. Le général Mouravief avait, le 31 juillet 1855, passé une seconde fois le Soghanly-Dagh ; le 2 août, il rejoignait au pont de l’Araxe le général Souslof, qui, de son côté, s’était reporté au-delà du col de Déli-Baba. Vély-Pacha s’était retiré dans la nuit sur ses lignes de Dévé-Boynou ; mais là même il ne semblait pas disposé à attendre l’ennemi. Les autorités d’Erzeroum étaient consternées, et l’aspect des troupes qu’amenait Vély-Pacha n’était pas de nature à les rassurer. Nulles mesures n’avaient été prises pour la défense de la position. Le désordre le plus complet régnait dans le camp. Les pièces d’artillerie, séparées de