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L’infanterie russe fit halte sur ce point ; la cavalerie seule descendit sur le revers du Soghanly-Dagh, et surprit à Bardez Sirri-Pacha et quelques centaines de bachi-bozouks, qui eurent à peine le temps de s’échapper en abandonnant les magasins accumulés par le colonel Williams au prix de tant d’efforts. Les subsistances que perdit ainsi la garnison lui eussent permis de prolonger de deux mois sa résistance, et d’attendre l’époque où la rigueur du froid eût forcé les Russes à lever le siège. « Nous n’avons pu nous procurer ni l’argent ni les voitures nécessaires pour amener ici ces approvisionnemens, écrit le colonel Williams avec un sentiment de douleur facile à comprendre, et nous voyons l’ennemi disposer de moyens de transport immenses… En ce moment même, il lui arrive de Goumry un convoi de cinq mille arabas et de deux mille chameaux ! » Quelques jours furent employés par les Russes à vider les magasins dont ils s’étaient emparés. Les Cosaques fouillèrent au loin le pays, et se saisirent ainsi d’un grand convoi qui s’acheminait tranquillement vers Bardez. Après s’être assuré que tous les approvisionnemens avaient été enlevés ou détruits, le général Mouravief ramena son armée devant Kars. Le 3 juillet, il était de retour. Pendant le cours de son expédition, il n’avait même pas été inquiété. Les populations des montagnes, qui, lors de la dernière guerre, avaient concouru énergiquement à la défense du pays, venaient cette fois au-devant du général russe lui offrir le pain et le sel en signe de paix et d’amitié. Pour Vély-Pacha, loin de songer à se porter sur Bardez, il s’était hâté, à la nouvelle de la marche des Russes, de regagner ses lignes de Kopri-Reuï. Atteint par le général Souslof avant d’avoir franchi le col de Déli-Baba, il avait laissé entre ses mains quelques cavaliers, Hassan-Aga, leur commandant, et Bahloul, pacha héréditaire de Bayazid. Ce pacha, homme d’esprit et fort exempt de préjugés, ne manquait jamais une occasion de se faire prendre. Autrefois captif tour à tour des Persans et des Russes, il s’était trouvé en mesure de rendre des services au général Paskiévitch. C’était lui qui avait déterminé par ses intrigues les pachas de Van et de Much à rester spectateurs de la lutte où la Turquie se trouvait engagée en 1828.

À son retour, le général Mouravief se disposa à resserrer les Turcs dans leurs lignes. Il s’établit avec le gros de son armée près du hameau de Bouyouk-Tikmé, situé sur la grande route d’Erzeroum, à trois heures de Kars. Il interceptait ainsi complètement les passages du Soghanly-Dagh. Un détachement de huit bataillons d’infanterie, deux batteries d’artillerie, deux régimens de cavalerie, observaient la place de plus près. Les Cosaques et les irréguliers parcouraient sans relâche les environs ; ils allaient jusque sous le canon de Kars attaquer les fourrageurs qui parfois se hasardaient hors de la ville.