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parties : elle laisse sur la rive gauche le plateau de Tachmas, et sur la rive droite la ville, la citadelle et les hauteurs du Kara-Dagh. La citadelle possède plusieurs enceintes flanquées de tours. La ville elle-même est entourée d’une épaisse muraille en pierre et d’un rempart bastionné, qui se relie, d’un côté à la citadelle, de l’autre aux défenses du Kara-Dagh. Le développement total de la forteresse est d’environ 3,000 mètres. Les faubourgs s’étendent dans la plaine ; ils sont couverts par une muraille et des marécages qui en rendent difficiles les approches. L’escarpement du rocher du côté du nord, les nombreuses fortifications superposées du côté du midi, faisaient autrefois de Kars une des places les plus fortes de l’Asie ; mais alors l’artillerie était dans l’enfance, et ces ouvrages sont aujourd’hui sans valeur. En effet le plateau de Tachmas, que la rivière laisse sur sa rive gauche, domine complètement la ville. Ce plateau est la clé de la position. Le général Paskiévitch, en 1828, s’en étant emparé par surprise, y établit des batteries qui écrasèrent de feux plongeans les assiégés, et les amenèrent en quelques heures à se rendre. En 1855, la situation n’était plus la même. Instruits par l’expérience, les Turcs avaient enfermé dans leurs lignes la partie du massif la plus rapprochée de la ville, et alors ils travaillaient encore à compléter de ce côté leur système de défense. Sur la rive droite, deux grands ouvrages en terre occupaient les sommets escarpés du Kara-Dagh. Ces ouvrages formaient avec la citadelle un triangle dont les feux battaient au loin la plaine et les abords du camp retranché où campait le gros de l’armée turque. La rive droite offrait une position inexpugnable ; le général Mouravief résolut de la tourner.

En franchissant le Kars-Tchaï et pénétrant dans les montagnes, il menaçait le plateau de Tachmas, dont les abords sont moins abrupts que ceux du Kara-Dagh, et il interceptait en même temps la grand’route d’Erzéroum à Kars. Ce mouvement se prêtait, on le voit, à toutes les combinaisons que pouvaient lui suggérer les événemens. Il lui fallait, il est vrai, exécuter à la vue de l’ennemi une marche de flanc ; mais les Turcs étaient des ennemis peu redoutables, ils n’osèrent pas, en effet, troubler l’armée russe dans son mouvement. Cette armée offrait, de la ville, le spectacle le plus imposant. L’infanterie marchait sur deux colonnes, la gauche en tête, l’artillerie dans les intervalles ; elle conservait ainsi son ordre de bataille, et pouvait en un instant former ses deux lignes. Plus loin venait parallèlement une troisième colonne disposée dans le même ordre et destinée à servir de réserve. Plus loin encore filaient les équipages. Deux régimens de dragons et deux batteries d’artillerie des Cosaques du Don observaient de près la place, et couvraient le flanc droit de l’armée. La plaine était éclairée au loin par les cavaliers