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tous ces cours d’eau ont, de même que l’Enea, leur bouche dirigée vers l’ouest, évidemment parce que les vents alizés et les courans portent toujours du nord-est au sud-ouest, et, par leur travail incessant, forment une longue levée de sable sur la rive orientale des diverses embouchures. Pendant la saison pluvieuse, les marécages situés entre les deux villages de Punta-del-Diablo et de Dibulla s’ouvrent vers la mer dix ou quinze affluens, qui tous, sans exception, coulent de l’est à l’ouest à travers les sables avant de se déverser dans l’Océan.

Je m’arrêtai à peine une heure à Dibulla, où je devais quelques mois plus tard passer des jours bien tristes, et j’arrivai avant la nuit dans la cabane du Pantano, qui s’élève sur la plage à l’endroit même où le sentier de la sierra quitte le bord de la mer pour pénétrer dans l’intérieur des terres. La cabane est ainsi nommée du marécage que je devais traverser le lendemain : inutile de dire que l’existence est un vrai martyre dans cette misérable hutte ; entre toutes celles du golfe, la crique voisine a mérité le nom de Rincon-Mosquito (Anse des Moustiques).

La Sierra-Nevada est défendue presque de tous les côtés par une zone de marécages que des entassemens de pierres et de débris, semblables à d’anciennes moraines, séparent des plaines environnantes. Ces amas de roches et de cailloux ont-ils été ainsi formés par des avalanches d’eau successives descendues comme un déluge des gorges de la montagne, en poussant devant elles une digue flottante de blocs arrachés aux flancs du roc vif ? ou bien sont-ils de véritables moraines et doivent-ils nous prouver que la zone tropicale, elle aussi, a eu sa période de glaces et de frimas ? C’est là une question que l’état actuel de la science et les rares explorations faites dans la Sierra-Nevada ne permettent guère de résoudre ; mais il est certain que ces monticules de débris sont bien en effet des terrains de rapport charriés à une époque où des agens géologiques, aujourd’hui très affaiblis, étaient encore à l’œuvre dans toute leur violence. Immédiatement au sortir de la cabane du Pantano, on gravit une de ces moraines où des arbres épineux croissent au milieu des pierres, puis on redescend dans une vaste savane où sont épars des bouquets de tulipiers (liriodendron), quelques palmiers-maurices et des touffes de joncs gigantesques : c’est là que commencent les marécages. Pendant les saisons pluvieuses, la grande abondance d’eau réunie dans ce bassin brise en certains endroits la chaîne de dunes qui le sépare de la mer : il est alors assez facile de le traverser parce que les eaux croupissantes sont remplacées par un ruisseau comparativement clair ; mais pendant les sécheresses les vagues mannes forment un nouveau cordon littoral à l’embouchure des