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gloire. Cette idée, n’était-ce pas l’asservissement de l’Europe à la France, et l’abdication de la France elle-même aux mains d’un seul homme ?

Du haut de ce calvaire démocratique où il eut la rare fortune de monter en tombant du trône, Napoléon, transformé en victime des rois conjurés, a maintes fois répété que les résistances obstinées de ses ennemis avaient provoqué les accroissemens imprévus de son empire et l’extension démesurée de son pouvoir. Faisant passer dans sa langue immortelle les déclamations des tribuns et parfois jusqu’aux refrains des chansonniers, il a prétendu qu’une dictature essentiellement temporaire préparait dans sa pensée l’éclatant réveil de toutes les libertés suspendues et de toutes les nationalités outragées : vaines affirmations dont le grand homme calculait la portée populaire sans s’abuser lui-même, commentaires ingénieux qui ont dû le faire plus d’une fois sourire dans les amères tristesses de l’exil ! A moins d’admettre que les peuples étrangers ne fissent aucun effort pour défendre leur propre vie contre une agression qu’aucun conquérant n’avait encore osée, il faut bien reconnaître que toutes ces résistances étaient inévitables ; il faut voir surtout qu’elles devaient s’organiser et s’étendre tant que l’Angleterre, dans la plénitude de sa puissance, continuerait le combat engagé pour la délivrance du monde, tant qu’elle demeurerait assez riche pour en subventionner le désespoir.

On aimerait à entendre l’illustre historien le déclarer aussi nettement qu’il le croit : la pensée la plus antipathique à l’empereur Napoléon fut toujours ce droit suprême des nationalités qu’un prince de son sang, qui semble répudier la tradition impériale pour se rattacher à la tradition consulaire, entreprend de donner aujourd’hui pour base au nouveau droit public de l’Europe. L’empereur avait délivré l’Italie de ses dominateurs étrangers, et connaissait mieux que personne les longues aspirations de ce pays vers l’indépendance ; mais au lieu de le préparer pour un tel avenir, il y tailla à sa fantaisie des royaumes, des duchés et des départemens, et comme pour insulter la nationalité italienne dans son symbole le plus auguste, il alla bientôt jusqu’à remplacer à Rome le pape par un préfet français ! Deux fois il avait pu, pour répondre à l’espérance la plus obstinément persistante qu’un peuple ait placée dans un homme, relever la Pologne et acquitter le prix d’un concours héroïque par la réparation d’une odieuse iniquité ; deux fois il échappa à ce devoir de la reconnaissance, dont l’accomplissement aurait peut-être sauvé l’empire par la puissance réparatrice qu’exerce toute œuvre sainte. L’homme qui avait détruit la Prusse, anéanti l’empire germanique, arraché à l’Autriche un tiers de ses possessions ; celui qui, pour punir quelque hésitation dans l’accomplissement des mesures fiscales