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d’obtenir des ports maritimes afin de menacer l’Angleterre, et une viabilité perfectionnée au point de vue stratégique, bienfaits immenses pour lesquels on ne leur demandait qu’une bagatelle : abdiquer la patrie !

Je ne saurais concéder à M. Thiers qu’avec moins d’impatience et plus de temps, l’œuvre d’assimilation au grand empire, qu’il déclare insensée pour les peuples de souche germanique, eût été possible si elle avait été restreinte aux nations d’origine latine[1], car je ne vois pas que la création des royaumes de Hollande et de Westphalie ait été pour Napoléon un plus grand malheur ou une plus grande faute que la guerre d’Espagne et l’invasion du Portugal. C’est dans la Péninsule que le doigt de Dieu a touché le conquérant : les Espagnols et les Portugais étaient en armes bien avant que les Allemands et les Hollandais tentassent de briser le joug, et si l’ange exterminateur n’avait pas frappé nos légions sur le sol glacé où la neige les enveloppa d’un immense linceul, les populations riveraines du Rhin et du Weser auraient hésité longtemps encore, malgré leurs humiliations et leurs souffrances, à suivre l’exemple que leur avaient déjà donné les montagnards des sierras espagnoles et du Tyrol italien.

Je ne puis, je l’avoue, reconnaître non plus dans le système impérial, même restreint dans son application aux races purement latines, une imitation de la politique suivie par la maison de Bourbon dans les deux péninsules. En acceptant pour son petit-fils le trône que lui déférait un acte tout spontané de la volonté de Charles II, Louis XIV avait commencé ses instructions au duc d’Anjou par ces paroles : « Soyez bon Espagnol, car vos premiers devoirs sont pour vos peuples. » — Vous êtes Français, et n’avez de devoirs qu’envers moi seul, écrivait chaque jour Napoléon à ses frères, condamnés au supplice de répondre à ses exigences, en étalant dans des capitales transformées en chefs-lieux de préfecture un simulacre de royauté. Lorsque ces princes, supérieurs au rôle qui leur était imposé, hasardaient quelques respectueuses allusions au pacte qui, durant la seconde moitié du siècle précédent, avait uni la maison de Bourbon dans une alliance où l’intimité n’enlevait rien ni à l’indépendance ni à l’honneur, des traits sanglans d’ironie ou les éclats d’une colère terrible les remettaient bientôt à leur place, et venaient déchirer des voiles dont l’empereur n’éprouvait d’ailleurs pour son compte aucun désir de s’envelopper. N’amnistions pas le principe en condamnant les conséquences, et n’hésitons jamais à remonter à l’idée mère d’où ont surgi toutes les fautes du premier empire pour y attacher une réprobation plus éclatante encore que ne l’a été sa

  1. Tome V, page 465.