une dictature militaire soutenue par un fanatique enivrement, devant lequel l’intelligence disparaissait avec la liberté. En couronnant une nouvelle dynastie, elle avait entendu finir chez elle la révolution, et on la contraignait de consommer celle de l’Europe. Elle voulait s’arrêter aux bords du Rhin, et on liait son sort à une entreprise qui devait fatalement la conduire sur les bords de la Moskova !
Il faut qu’on en reste bien convaincu : la catastrophe finale où s’est abîmé l’empire a été strictement logique, et le système du souverain l’avait rendue inévitable. Chacune des fautes relevées par M. Thiers avec une admirable sagacité aux phases diverses du règne ont accru sans aucun doute soit les difficultés, soit les périls, et Napoléon ne s’est pas porté un moindre préjudice par la violence de ses procédés que par la pensée déplorable sortie d’un seul jet et tout armée de son cerveau. Néanmoins l’empereur aurait évité toutes les fautes de détail signalées par son historien, qu’en présence d’une lutte perpétuelle contre la nature, il n’aurait pu manquer d’en commettre d’autres, et que son œuvre n’aurait pas eu probablement une durée beaucoup plus considérable. Il est des choses heureusement impossibles, et l’entreprise de Napoléon contre la liberté du monde était au nombre de ces impossibilités-là. C’est sur ce point que la conscience publique regrette de ne pas voir porter un blâme énergiquement formulé : personne n’a mieux que M. Thiers jugé l’empire dans la série presque infinie de ses travaux militaires et diplomatiques ; mais il aurait appartenu à l’illustre historien mieux qu’à tout autre d’établir que, parmi les fautes qui ont compromis l’œuvre carlovingienne de Napoléon, aucune n’était comparable à la folie de l’avoir conçue.
Qu’était-ce en effet que cette gigantesque agression contre l’histoire, contre le droit et contre la vie intime des peuples ? Prétendre réduire les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Hollandais et les Allemands à la condition de vassaux régis par des princes d’origine française et hôtes obligés du Louvre, c’était reprendre, en pleine civilisation chrétienne, le régime de la Rome païenne sur les municipes et les rois alliés, c’était reproduire la théorie grecque sur la subordination naturelle des races conquises à une race conquérante. Pour prix d’une abdication qui placerait à la disposition de l’empire leurs armées et leurs trésors, Napoléon entendait, il est vrai, de partir aux peuples vassaux, avec un grand bien-être matériel, certains résultats civils de la révolution française. S’il dotait largement les généraux établis par lui dans leurs domaines, il voulait bien frapper au cœur les aristocraties indigènes importunées d’un tel voisinage. Les tributaires pouvaient espérer encore un autre service où la France trouvait d’ailleurs son compte, celui de recevoir de Paris des administrateurs intelligens et d’habiles financiers ; ils avaient aussi chance