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les pentes supérieures et les glaces, nous apparaissait dans son entier de l’orient à l’occident et du sommet jusqu’à la base, immense tableau encadré entre l’azur du ciel et celui des mers. À gauche, une vaste baie arrondie en demi-cercle prolongeait jusqu’à la base de la sierra sa longue courbe de sable blanc entre l’étendue bleue des eaux et la ceinture verdoyante des forêts. Au-delà s’élevaient les premières collines, semblables à des cônes de verdure, puis les montagnes s’étageaient diversement, les unes couvertes de bois, les autres de prairies, et les chaînons se dressaient au-dessus des chaînons avec leurs dégradations de lumière, d’ombre et de lointain. Au-dessus de cet entassement de montagnes se découpait sur le ciel la ligne hérissée des pics resplendissans de neige. Tout à fait à l’ouest, la chaîne projetait dans la mer le promontoire de Punta-Maroma, aigu comme un fer de lance, et se continuait au loin sur les flots par un épais brouillard, sans doute un de ces nuages dans lesquels tourbillonnent des milliards de papillons blancs. Sur la courbe de la baie, longue de quinze lieues, se montraient deux ou trois cabanes qu’on pouvait à peine distinguer des arbres qui les entouraient : c’était là tout ce qui rappelait l’homme dans cet immense espace. La vie animale elle-même n’avait pour représentans que des aigles tournoyant au-dessus de la mer. Une paix solennelle régnait sur la nature. Le seul contraste à cette tranquillité superbe de l’Océan et des montagnes était produit par quelques vagues écumeuses qui bondissaient autour d’un écueil à une petite distance au nord de Punta-Tapias. Certes ce beau spectacle compensait pour moi bien des fatigues, et si mon long voyage ne m’avait procuré aucune autre jouissance, je me croirais encore amplement dédommagé. Quand donc les touristes et les amans de la nature se feront-ils un devoir d’aller admirer ces régions de l’Amérique tropicale ? Nos peintres ont trouvé une riche mine à exploiter dans les déserts de la Palestine et de l’Égypte, et depuis longtemps ils en reproduisent avec bonheur les rochers brûlés et les rouges horizons. En Amérique, ils retrouveront la lumière de leur soleil d’Orient, et de plus, comme un résumé de la nature dans ces savanes à perte de vue, ces marécages sans fond qui disparaissent sous une couche de végétation flottante, ces montagnes neigeuses aux courbes à la fois si élégantes et si hardies, ces forêts luxuriantes composées d’arbres de toutes les zones et de tous les climats !

Avant d’atteindre le hameau de Manavita, il nous restait à franchir l’Enea, le fleuve le plus dangereux de toute la province à cause de la rapidité de son courant et surtout des animaux qui le peuplent, crocodiles, requins tintoreras et raies électriques. D’après l’opinion générale, qui sans aucun doute est fondée sur l’expérience