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de dunes. La forêt se montre à une petite distance de la mer. En général peu fournie, elle se compose de zones d’arbres épineux entourant des clairières où les termites bâtissent leurs obélisques et leurs pyramides aux mille corridors ; mais en quelques endroits les mimosas hérissés de piquans, les cactus tordus comme des serpens autour des troncs, ou tapis dans les lézardes du sol comme autant de scorpions venimeux, des orties gigantesques, et d’autres plantes dont chaque fibre est un dard, forment un obstacle bien plus infranchissable encore que la végétation exubérante des forêts vierges. Les seuls animaux qui vivent dans ces fourrés sont les serpens, les lézards et les oiseaux. Le soir, des perruches vertes et des periquitas s’abattent sur certains arbres en si grand nombre que les branches en plient, et jusqu’à la tombée de la nuit elles font un vacarme étourdissant, dont les conversations glapissantes de nos pies ne sauraient donner aucune idée.

Nous cheminions résolument sur la plage, faisant un écart vers la falaise à chaque bond de la vague, et redescendant sur le sable affermi du bord à chaque retrait des eaux. Après six heures de ce genre de gymnastique, la fatigue se fit sentir. Les rayons pesans du soleil, réverbérés par les sables blancs et les falaises, et réfléchis par la surface de la mer, nous enveloppaient d’une intolérable chaleur ; une soif ardente commençait à nous dévorer, et quand mon camarade eut épuisé notre petite provision d’eau, il se mit à gémir lamentablement. Tous les moyens usités en pareil cas furent inutiles : les fruits aigrelets des cactus que nous trouvions çà et là suspendus aux escarpemens de la falaise nous rafraîchissaient à peine un instant ; l’eau de mer, dont nous remplissions notre bouche, ne servait qu’à nous excorier le palais ; la soif allait toujours en augmentant. Enfin nous arrivons à l’anse de la Guasima, qui sert de port au grand village de Camarones, situé à l’intérieur des terres, et pendant que mon camarade s’étend exténué à l’ombre d’un vieux palmier, je vais à la recherche d’une fontaine que l’on m’avait dit sourdre à une petite distance de la Guasima. Elle était tarie de la veille peut-être, car le sol était encore humide : pas une seule goutte d’eau ne perlait dans le bassin. Je revenais pour annoncer la triste nouvelle à Luisito, lorsqu’en levant les yeux vers la cime du palmier, j’aperçus deux noix à demi cachées sous les branches flétries. Quelle merveilleuse aubaine ! Le pauvre arbre, le seul qu’il y eût sur la côte, de Rio-Hacha à dix lieues plus à l’ouest, était si malingre, il avait reçu des passans tant de coups de machete, que je n’avais pas même songé à y chercher des fruits. J’y grimpai non sans peine, et je cueillis les précieuses noix. Quand je repassai plus tard à la Guasima, ce cocotier semblait tout à fait mort : il est vrai