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front étincelant de ce régiment victorieux, je regardais l’un après l’autre chaque soldat, et je réfléchissais sur cette troupe qui s’est fait une si grande part dans la gloire de notre jeune armée. Les zouaves sont animés d’un même esprit, mais ils renferment des types bien différens. Près du soldat vigoureux, trapu, à longue barbe, près de l’homme bronzé, pour me servir d’une expression devenue vulgaire, mais qui exprime si bien cette sorte de dureté métallique, de revêtement impénétrable, dont la fatigue, la misère et le danger finissent par armer ceux qu’ils ont tenté vainement de détruire ; près du vieux zouave en un mot, voyez ce jeune homme au teint pâle, aux formes frêles, qui semble presque exhaler la fièvre : c’est un zouave aussi cependant, et malgré ses morbides apparences, ne craignez point pour lui l’hôpital. Regardez ses yeux, ils rayonnent de cette ardeur morale qui supplée aux énergies de la matière. Il est renommé pour sa gaieté ; on l’appelle d’ordinaire le Parisien, et le fait est que, n’importe où il soit né, on le sent, Paris est sa vraie mère. Il est passionné, il est moqueur ; mais n’allez point dire qu’il est sceptique ! O vous qui gouvernez les peuples, m’écrierais-je volontiers, si j’osais parler comme Bossuet, instruisez-vous en étudiant cet homme ; il dissipera peut-être dans votre esprit bien des erreurs. Malgré leur verve, leur entrain, leur malice, ses traits recèlent dans leurs profondeurs quelque chose de sombre et d’enflammé qui ressemble à du fanatisme. Eh bien ! pourquoi ne le dirai-je pas ? c’est qu’il est fanatique en effet, et cette passion brûlante, dont son cœur est le foyer à présent tout aussi bien qu’au temps de la ligue, peut toujours s’attacher à de nobles objets. Voici un trait que j’aurais pu placer dans mes souvenirs de Crimée, mais que je ne regrette pas d’avoir négligé, puisqu’il peut trouver place ici. Un zouave venait tous les matins me raser sous ma tente. C’était un vrai Figaro. Son sourire, en dépit de la neige, étincelait comme la musique de Rossini. Je causais avec lui, il m’amusait. Je lui demandais des nouvelles des tranchées, dont il me racontait les commérages et les lazzis. C’était le petit journal du siège. Un jour je lui parlai de Paris : « Nous nous y reverrons, lui dis-je en riant. — Peut-être, me répondit-il, je ne l’espère guère ; mais que je laisse ici un bras, une jambe, et si c’est nécessaire toute ma peau, peu m’importe, pourvu que la ville soit à nous ! » Ce disant, la savonnette d’une main et le rasoir de l’autre, il poursuivait sa besogne. Comprend-on maintenant ce qui fait la force des zouaves ? Des enthousiasmes maladroits et des jalousies mesquines ont essayé souvent de leur créer une situation qui ne doit pas être la leur. Ils ne sont pas une exception dans la famille militaire, ils sont au contraire une vive et complète expression de notre armée : voilà leur gloire ; je dirai plus, ils sont une expression de la nation tout entière : voilà