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sœur a encore trop de chagrin, et que celle-ci, la plus petite, est la plus soumise à Dieu ; souviens-toi !

« Toi qui fus bénie en devenant belle, Tonine aux mains pures, souviens-toi du jour où l’on voulut t’entraîner à la première fête ; on te disait : Les tonnelles sont pavoisées, les violons raclent leurs plus beaux airs de danse. Tous les garçons vont là-bas sur la pelouse ; mets ta robe blanche et suis-nous. Un jour de plaisir efface un an d’ennui. Et toi tu répondis, — tes compagnes me l’ont conté :

— Non, vous n’avez pas besoin de moi, puisque vous êtes contentes ; j’irai tenir compagnie à Louisa la boiteuse, qui s’ennuie seule au logis. — Et tu mis ta robe blanche, et tu donnas à la solitaire infirme la fête de l’amitié ; souviens-toi !

« Toi qui fus bénie en devenant sainte, Tonine aux mains secourables, souviens-toi du jour où tu donnas à boire au pauvre voyageur et ton pain à la pauvre mendiante, et du jour où tu fermas les yeux du voleur abandonné de tous, après avoir fait entrer le repentir dans son âme coupable, et du jour où tu soignas le pauvre paralytique, objet de dégoût pour sa propre famille, et du jour où tu donnas ta mante, et de celui où tu donnas ta chaussure, et de celui où, n’ayant plus rien à donner, tu donnas tes larmes, et de tous les jours de la vie qui furent marqués par des bienfaits, des dévouemens, des sacrifices ; de tous ces jours-là, Tonine aux belles mains, souviens-toi !

« Et souviens-toi encore, Tonine au cœur pur, du jour où l’on vint te dire : Tu es riche, la plus belle des usines de la Ville-Noire, la perle du Val-d’Enfer est à toi. Ce jour-là, tu levas vers le ciel tes mains sans tache en disant : Rien n’est à moi, tout est à Dieu ! Et depuis ce jour-là il n’y a pas eu ici une peine qui ne fût adoucie, une larme qui ne fût essuyée ; souviens-toi !

« Et souviens-toi, Tonine au cœur fidèle, du jour où l’on vint te dire : L’atelier de celui qui t’aimait a été dévoré par la montagne. Sa roue, muette à jamais, gît sous le rocher, le torrent chante sa victoire cruelle sur les ruines de son travail et de sa vie. Ce jour-là, tu t’écrias : — Voilà mon fiancé qui revient, ma voix l’appelle. J’ai besoin d’un ami pour partager le fardeau des devoirs de ma richesse. — Et ce jour-là, Tonine au cœur tendre, tu aimas plus que toi-même celui qui n’avait plus que toi sur la terre ; souviens-toi !


RÉCITATIF.

« Jeunes époux, souvenez-vous de vos fatigues et de vos peines pour mieux savourer le bonheur ! Nobles enfans du travail, ne quittez jamais la Ville-Noire ! Des liens plus forts que l’acier le mieux trempé de vos ateliers, des affections plus solides que ces rochers de granit qui protègent le sanctuaire de nos industries, des liens d’amour et