Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
511
REVUE. — CHRONIQUE.

la naissance de l’empereur d’Autriche François II. Hensler choisit pour cette solennité les Ruines d’Athènes, dont on revit le texte, qui était de Kotzebue. Beethoven fut également prié d’ajouter quelque chose de nouveau à cette cantate symbolique, qu’il avait composée en 1812 pour une fête semblable, qui avait été donnée au théâtre de Pesth. Beethoven composa pour cette circonstance l’ouverture des Ruines d’Athènes, qu’on exécute à la Société des concerts. Le jour de la représentation, Beethoven était assis au piano, ayant à ses côtés le chef d’orchestre Glaeser, qui était chargé de transmettre les mouvemens du compositeur. Malheureusement les mouvemens indiqués par Beethoven n’étaient ni assez précis, ni assez facilement intelligibles pour des artistes qui étaient sur la scène, et l’exécution de l’œuvre se ressentit beaucoup de ce manque d’équilibre dans les commandemens du chef. Le public néanmoins ne fut pas trop mécontent, et fit à Beethoven un accueil enthousiaste. Il dut paraître sur la scène accompagné du directeur.

Le succès de cette soirée donna l’idée à la direction de reprendre Fidelio pour le bénéfice de Mme Schroeder-Devrient, une grande cantatrice dramatique qui, après la Milder, est celle qui a le mieux réussi dans le rôle difficile de Léonore. Beethoven, ne sachant s’il devait encore se hasarder à présider lui-même à l’exécution de son opéra, consulta quelques amis, qui tous furent d’un avis contraire. Beethoven cependant ne se laissa pas persuader, et le jour de la répétition générale on le vit apparaître à la tête de l’orchestre. Après l’exécution de l’ouverture en mi majeur, qui fut très bien rendue, on s’aperçut, dès le premier duo entre Marceline et Jacquino, que Beethoven n’avait pas conscience de ce qui se passait sur la scène, et que ses mouvemens n’étaient pas en harmonie avec ceux que suivaient les chanteurs. Il fallut recommencer, et le même désaccord se fit sentir de nouveau. Chacun fut convaincu alors que l’exécution ne pouvait pas marcher ainsi sous la direction de Beethoven ; mais comment faire comprendre au grand maître la cause de ce désordre ? Personne n’osait lui dire la vérité, tout le monde gardait autour de lui un silence respectueux. Beethoven, sur son siège de chef d’orchestre, ressemblait à un lion acculé, interrogeant d’un regard anxieux le visage des exécutans, qu’il voyait immobiles et consternés. Il fit signe à M. Schindler, son biographe, de s’approcher de lui, et M. Schindler écrivit avec un crayon sur un calepin que Beethoven portait toujours dans sa poche : « Je vous prie de ne pas continuer… À la maison, je vous dirai le reste. » Beethoven s’élança hors de l’orchestre et du théâtre, courut à sa demeure, qui était assez éloignée, et se jeta sur un canapé en se couvrant le visage de ses deux mains. L’infortuné et sublime génie avait acquis la conviction qu’il était complètement sourd !

Fidelio est resté dans le répertoire de presque tous les grands théâtres lyriques de l’Allemagne. On le donne assez souvent à Vienne, à Berlin, et dans d’autres villes importantes. Fidelio a été entendu en France pour la première fois en 1825 au théâtre de l’Odéon, je crois. En 1831, une troupe de chanteurs allemands, parmi lesquels se trouvaient le ténor Haitzinger et Mme Schroeder-Devrient, donna Fidelio au théâtre Favart. Fidelio fut chanté au Théâtre-Italien en 1852 par Mlle Cruvelli, qui se fit remarquer dans le rôle de Léonore, où sa belle voix était secondée par un instinct tout germanique.

Je ne crois pas avoir besoin de dire que la partition de Fidelio renferme