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en Allemagne, n’a jamais eu un succès franchement populaire équivalant à celui de la Flûte enchantée de Mozart ou du Freyschütz de Weber. Les circonstances qui ont donné lieu à la naissance de Fidelio, que le maître a retouché jusqu’à trois fois, méritent d’être rapportées.

C’est le 20 novembre 1805 que la première représentation de Fidelio a eu lieu sur un théâtre de Vienne. Beethoven avait alors trente-cinq ans, et il avait déjà produit assez d’œuvres puissantes, ne fût-ce que la symphonie héroïque, pour exciter l’admiration des connaisseurs. Beethoven fut engagé à composer un opéra par un certain M. Braun, directeur du théâtre privilégié An der Wien, à qui l’oratorio Christ au mont des Oliviers avait inspiré la confiance que le grand maître pourrait également réussir dans une composition dramatique. On lui fit proposer le sujet de l’Amour conjugal, qui était emprunté à un opéra français de Gaveaux, paroles de Bouilly, donné au théâtre Feydeau en 1799. Le compositeur italien Paer avait également traité ce même sujet sous le titre de Leonora. Ce fut le poète dramatique Joseph Sonnleithner qui arrangea le libretto allemand soumis à Beethoven. Il le trouva de son goût et se mit bravement à l’ouvrage. Dans l’intervalle, un grand événement s’était accompli : l’armée française avait passé le Danube elle pénétrait dans la ville de Vienne le jour même de la première représentation de Fidelio. Le parterre était rempli d’officiers français qui n’étaient certainement pas préparés par leur éducation à goûter une pareille musique. Aussi Fidelio n’eut-il d abord que trois représentations. On le reprit le 27 mars 1806, réduit en deux actes avec le titre de Leonora. Beethoven ajouta à la partition primitive un nouvel air avec chœurs pour Pizarre, et supprima le duo entre Marceline et Léonore, avec accompagnement de violon solo, ainsi qu’un trio comique entre Marceline, Rocco et Jacquino. L’opéra fut donné jusqu’au 10 avril de la même année, et puis retomba dans l’oubli jusqu’en 1814. En effet, dans le mois de mai 1814, Fidelio fut repris et représenté plusieurs fois, d’abord au bénéfice de deux artistes attachés au théâtre de la cour, puis au bénéfice de Beethoven lui-même, qui conduisit en personne l’exécution. Le maître retoucha encore la partition. Il écrivit un nouvel air de ténor pour Florestan, l’une des deux ouvertures en mi majeur et deux autres morceaux : un air pour Rocco et le grand air de Léonore, avec accompagnement de trois cors obligés. Cette reprise de Fidelio paraît avoir été très brillante, grâce surtout aux artistes remarquables qui étaient chargés des premiers rôles. C’est Mme Milder, l’une des meilleures cantatrices dramatiques de l’Allemagne, qui a créé dans l’origine, en 1805, le rôle de Fidelio, qu’elle a chanté également en 1814. Celui de Pizarre fut rempli par Fogel, et la partie de Rocco fut chantée par Weinmüller, comédien et chanteur accomplis, à ce que dit le biographe de Beethoven à qui nous empruntons ces renseignemens. Ce fut un Italien nommé Radichi qui chanta avec beaucoup de goût le rôle difficile de Florestan. Huit ans après, en 1822, Fidelio reparut pour la troisième fois, et cette reprise donna lieu à une scène douloureuse qui mérite d’être racontée.

Le nouveau directeur du théâtre de Josephstadt, Charles-Frédéric Hensler, auteur d’une foule de pièces, très populaires en Allemagne, était depuis longtemps en relations avec Beethoven. Hensler conçut le projet d’inaugurer sa direction par une représentation extraordinaire pour l’anniversaire de